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cet homme, dont vous m’avez menacée, ose approcher de moi, je me plongerai ce poignard dans le cœur ! Je vous remercie, madame, car c’est à vous que je dois le moyen suprême d’échapper au déshonneur.

La Linda la regarda avec rage ; mais elle ne répondit pas, elle était vaincue.

En ce moment, il se fit un grand tumulte dans le camp ; des pas pressés s’approchèrent du toldo dans lequel se trouvaient les deux femmes.

La Linda reprit son siège en composant son visage, afin de cacher aux yeux des arrivants les sentiments qui l’agitaient.

Doña Rosario, avec un sourire de joie, glissa le poignard dans son sein.



XXVII

LA FIN DU VOYAGE DE DON RAMON


Cependant don Ramon Sandias avait quitté Valdivia.

Cette fois, le sénateur était seul.

Seul avec son cheval, pauvre bête étique à moitié fourbue, qui trottinait la tête et les oreilles basses, et semblait de tous points se conformer aux tristes pensées qui, sans nul doute, assaillaient son maître.

Le sénateur, pareil a ces chevaliers des anciens romans, qui sont le jouet d’un méchant enchanteur et tournent des années entières dans le même cercle sans jamais parvenir à atteindre un but quelconque, était sorti de la ville avec la ferme persuasion qu’il n’arriverait pas au terme de son voyage.

L’avenir ne lui apparaissait nullement couleur de rose.

Il était parti de Valdivia sous le poids d’une menace de mort ; à chaque pas il s’attendait à être couché en joue par un fusil invisible embusqué derrière les buissons du chemin.

Ne pouvant pas en imposer par la force aux ennemis disséminés sans doute sur son chemin, il avait résolu de leur en imposer par sa faiblesse, c’est-à-dire qu’il s’était débarrassé de toutes ses armes, sans garder seulement un couteau sur lui.

A quelques lieues de Valdivia, il avait été dépassé par Joan qui, en arrivant auprès de lui, lui avait jeté un bonjour ironique, puis avait piqué des deux et n’avait pas tardé à disparaître dans un nuage de poussière.

Don Ramon l’avait longtemps suivi des yeux d’un air d’envie.

— Que ces Indiens sont heureux ! grommela-t-il entre ses dents ; ils sont braves, le désert leur appartient. Ah ! ajouta-t-il avec un soupir, si j’étais à Caza Azul, moi aussi je serais heureux !

Caza Azul était la quinta du sénateur.

Cette quinta aux murs blancs, aux contrevents verts, aux bosquets touffus,