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— Caramba ! pour lui expliquer clairement vos intentions ; au train dont vous y allez, vous n’en finirez jamais.

— Bon.

— Seulement, faites bien attention que je ne réponds nullement de la bien disposer à votre égard.

— Ah ! fit Antinahuel désappointé.

— Non, mais je vous garantis qu’après notre conversation elle saura parfaitement à quoi s’en tenir sur vos projets sur elle ; cela vous convient-il ?

— Oui, ma sœur a la langue dorée, elle l'endormira.

— Hum ! je ne crois pas ; cependant je vais essayer pour vous être agréable, dit-elle avec un sourire ironique.

— Bien, pendant la conversation de ma sœur, je visiterai le camp.

— C’est cela, fit la Linda, de cette façon vous ne perdrez pas votre temps.

Antinahuel sortit après avoir lancé à la jeune fille un regard qui lui fit baisser les yeux en rougissant.

Restée seule avec doña Rosario, la Linda l’examina un instant avec une telle expression de méchanceté haineuse que la jeune fille se sentit frémir d’effroi malgré elle.

La vue de cette femme produisait sur elle cet effet étrange que l’on attribue au regard du serpent : elle se sentait fascinée par cet œil glauque au regard froid qui se rivait sur elle avec une fixité insupportable.

Après quelques minutes qui parurent un siècle à la pauvre enfant, la Linda se leva, s’approcha lentement d’elle et lui posant rudement la main sur l’épaule :

— Pauvre fille ! lui dit-elle d’une voix incisive, depuis bientôt un mois que tu es prisonnière, en es-tu donc encore à deviner pour quelle raison je t’ai fait enlever ?

— Je ne vous comprends pas, madame, répondit doucement la jeune fille, vos paroles sont pour moi des énigmes dont je cherche vainement le sens.

— Pauvre innocente ! reprit la courtisane avec un rire moqueur, il me semble pourtant que la nuit où nous nous sommes trouvées face à face au village de San-Miguel je t’ai parlé assez franchement.

— Tout ce qu’il m’a été possible de comprendre, madame, c’est que vous me haïssez pour une raison que j'ignore.

— Que t’importe la raison, puisque le fait existe ! Oui, je te hais, misérable ! je me venge sur toi des tortures qu’une autre personne m'a fait endurer ; qu’est-ce que cela me fait, à moi, que tu ne m’aies rien fait ! je ne te connais pas ! en me vengeant sur toi, ce n’est pas toi que je hais ! c’est celui qui t’aime ! dont chacune de tes larmes brise le cœur ! Mais ce n’est pas assez des tourments que je te réserve, s’il les ignore, je veux qu’il en soit témoin, je veux qu’il expire de désespoir en apprenant ce que j’ai fait de toi, à quel état d’abaissement et de mépris je t’ai réduite.

— Dieu est juste, madame, répondit la jeune fille avec fermeté, je ne sais quels forfaits vous méditez, mais il veillera sur moi et ne laissera pas s’accomplir cette atroce vengeance dont vous me menacez.

— Dieu ! misérable créature, s’écria la Linda avec un ricanement farouche,