Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle se tenait debout, les yeux baissés, devant le toqui, dont le regard brûlant ne la quittait pas une seconde.

— Mon frère voit que j’ai tenu ma promesse, lui dit la Linda avec un mauvais sourire à l’adresse de la jeune fille.

— Oui, répondit le toqui, je remercie ma sœur, moi aussi j’ai tenu la mienne.

— Mon frère est un grand guerrier, il n’a qu’une parole ; avant d’entrer sur le territoire des Huincas, il serait bon qu’il fixât le sort de sa prisonnière.

— Cette jeune vierge n’est pas ma prisonnière, répondit Antinahuel, dont le regard étincela, elle sera la femme du grand toqui des Aucas.

— Soit ! fit la Linda en haussant les épaules, Antinahuel est le maître.

Le chef se leva, et s’approchant de la jeune fille :

— Ma sœur est triste, lui dit-il avec douceur, la longue route qu’elle a faite l’a fatiguée sans doute ; un toldo est préparé pour ma sœur, elle se reposera quelques heures, et puis après Antinahuel lui fera connaître ses intentions.

— Chef, répondit La jeune fille avec mélancolie, mon corps n’éprouve pas de fatigue, je suis forte, vos mosotones ont été bons pour moi, ils ont eu pitié de ma jeunesse et m’ont traitée avec douceur.

— Le chef l’avait ordonné, dit galamment Antinahuel.

— Je vous remercie d’avoir donné ces ordres, cela me prouve que vous n’êtes pas méchant.

— Non, fit Antinahuel, j’aime ma sœur.

La jeune fille ne comprit point cette déclaration d’amour à brûle-pourpoint, et se méprit sur le sens des paroles qui lui étaient adressées.

— Oh ! oui, dit-elle naïvement, vous m’aimez, vous avez pitié de moi, vous ne voudrez pas me voir souffrir !

— Non, j’apporterai tous mes soins à ce que ma sœur soit heureuse.

— Oh ! ce serait bien facile, si vous le vouliez réellement ! s’écria-t-elle en lui jetant un regard de prière et en joignant les mains.

— Que faut-il faire pour cela ? je suis prêt à obéir à ma sœur.

— Bien vrai ?

— Que ma sœur parle ! fit le chef.

— Les larmes d’une pauvre jeune fille ne peuvent qu’attrister un grand guerrier comme vous !

— C’est la vérité, dit-il doucement.

— Rendez-moi à mes amis, à mes parents ! s’écria-t-elle avec effusion ; oh ! si vous faites cela, chef, je vous bénirai ! je vous garderai une éternelle reconnaissance, car je serai bien heureuse !

Antinahuel recula tout interdit en se mordant les lèvres avec colère.

La Linda éclata de rire.

— Vous voyez, dit-elle, il vous est très facile de la rendre bien heureuse !

Le chef fronça les sourcils d’un air courroucé.

— Holà ! frère, reprit la Linda, ne nous fâchons pas, je vous prie, et laissez-moi un instant causer avec cette colombe effarouchée.

— Pourquoi faire ? dit le toqui avec impatience.