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— C’est convenu, je vous remercie de la faveur que vous me faites.

— Frère, lui répondit don Tadeo d’une voix triste, ne devons-nous pas vivre et mourir ensemble !

— Oh ! ne parlez pas ainsi, fit don Gregorio ; puis il ajouta, afin de donner un autre tour à l’entretien et changer le cours des idées de son ami. Soyez donc assez bon pour me dire, avant que je vous quitte, ce que signifie le message que vous avez donné à Joan ?

— Oh ! répondit don Tadeo avec un fin sourire, ce message, mon ami, est une ruse de guerre, dont, je l’espère, vous verrez bientôt le succès. Après une dernière poignée de main, les deux chefs se quittèrent pour se mettre à la tête de leurs troupes respectives, qui s’éloignaient rapidement dans la plaine.


XXVI

LE MILAN ET LA COLOMBE


Le général Bustamete avait mis à profit la bonne volonté subite dont Antinahuel avait fait preuve à son égard.

Aussi, deux jours après les événements que nous avons rapportés, l’armée araucanienne était-elle fortement retranchée sur le Biobio, dans une position inaccessible.

Antinahuel, en chef expérimenté, avait établi son camp au sommet d’une colline boisée qui dominait le seul gué de la rivière.

Un rideau d’arbres avait été laissé pour dissimuler la présence de l’armée, si bien que nul n’aurait pu, à moins de renseignements positifs, la croire dans cette position.

Les divers contingents des Utals-Mapus étaient arrivés en toute hâte au rendez-vous assigné par le toqui ; d’instants en instants il en arrivait encore.

La force totale de l’armée était en ce moment d’environ neuf mille hommes.

Le Cerf Noir, avec un corps de guerriers d’élite, battait la campagne dans tous les sens afin de surprendre les coureurs ennemis.

Les maloccas, ou invasions araucaniennes, ne sont que des surprises, aussi la prudence déployée par les chefs dans ces expéditions est-elle extrême.

Rien ne donnait à supposer aux Indiens que les blancs se doutassent du coup de main qu’ils méditaient.

Ils voyaient sur la rive opposée du Biobio les troupeaux paître en liberté et les huasos vaquer tranquillement à leurs affaires, comme si de rien n’était.

Le général Bustamente interrogeait l’horizon à l’aide d’une longue-vue.

Antinahuel était retiré sous son toldo avec la Linda et doña Rosario.

La jeune fille n’était au camp que depuis une heure.

La pauvre enfant portait sur son visage pâli les traces des fatigues qu’elle avait éprouvées ; une sombre tristesse était répandue sur ses traits.