Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! parlez ! parlez ! et quoi qu’il faille faire pour cela…

— Même retourner parmi les Aucas ? fit don Tadeo avec malice.

Le sénateur tressaillit, son visage devint encore plus blême, et, d’une voix tremblante, il s’écria :

— Oh ! plutôt mourir mille fois que de me remettre entre les mains de ces barbares sans foi ni loi !

— Mais vous n’avez pas eu trop à vous en plaindre, que je sache.

— Aussi n’est-ce pas à eux personnellement, mais…

— Brisons là, interrompit don Tadeo ; voici ce qu’on attend de vous, écoutez attentivement.

— J’écoute, Excellence, répondit le sénateur en baissant la tête avec humilité.

Don Gregorio entra.

— Qu’y a-t-il ? demanda don Tadeo.

— Cet Indien, nommé Joan, qui déjà vous a servi de guide, vient d’arriver. Il a, dit-il, des choses importantes à vous communiquer.

— Qu’il entre ! qu’il entre ! s’écria don Tadeo en se levant et sans plus s’occuper du sénateur.

Celui-ci respira, il se crut oublié, et sournoisement il se glissa vers la porte par laquelle était ressorti don Gregorio.

Don Tadeo l’aperçut.

— Sénateur, lui dit-il, restez, je vous prie, nous n’avons pas encore terminé notre entretien.

Don Ramon, surpris en flagrant délit, chercha vainement une excuse, il hésita, balbutia ; bref, il resta court et se laissa retomber sur son siège en poussant un profond soupir.

La porte s’ouvrit au même instant. Joan entra.

Don Tadeo alla vers lui.

— Qui vous amène ? lui demanda-t-il avec agitation ; s’est-il passé quelque chose de nouveau ? Parlez ! parlez ! mon ami !

— Lorsque j’ai quitté le camp des chefs blancs, ils se préparaient à prendre la piste de Antinahuel.

— Dieu les bénisse, les nobles cœurs ! s’écria don Tadeo en levant les yeux au ciel et en joignant les mains avec ferveur.

— Mon père était triste cette nuit, lorsqu’il s’est séparé de nous, son cœur était déchiré, il semblait horriblement souffrir.

— Oh ! oui ! murmura le pauvre père d’une voix étouffée.

— Avant de prendre la piste, don Valentin aux cheveux dorés comme des épis mûrs, a senti son cœur s’amollir à la pensée des inquiétudes que vous éprouviez sans doute : alors il a fait tracer ce collier par son frère aux yeux de colombe, et je me suis chargé de vous le remettre.

En disant ces mots, il sortit la lettre qui était soigneusement cachée sous le bandeau qui ceignait son front et la présenta à don Tadeo.

Celui-ci la prit vivement et la dévora des yeux.

— Merci, dit-il avec effusion en serrant le papier dans sa poitrine et en tendant gracieusement la main au guerrier, merci, frère, vous êtes un homme