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La Linda bondit comme une lionne blessée.

Et s’élançant vers une porte qu’elle ouvrit violemment :

— C’en est trop ! Entrez ! fit-elle avec rage.

Les deux hommes qui avaient apporté don Tadeo parurent, le poignard à la main.

— Ah ! dit le gentilhomme avec un sourire de mépris, je vous reconnais enfin !

À un geste de la Linda, les assassins s’avancèrent sur lui.




VIII

LES CŒURS SOMBRES


Ainsi que nous l’avons vu, le peuple s’était dispersé presque aussitôt après l’exécution des patriotes.

Chacun emportait au fond du cœur l’espoir de venger, un jour prochain, les victimes si noblement tombées au cri, provisoirement resté sans écho, de Vive la Patrie !

Cri étouffé par les baïonnettes des soldats de Bustamente, mais qui devait bientôt enfanter de nouveaux martyrs.

Cependant, la place, qui paraissait déserte, ne l’était pas.

Plusieurs hommes, couverts d’épais manteaux, le chapeau à larges ailes rabattu sur les yeux, étaient groupés dans l’enfoncement d’une porte cochère ; ils causaient vivement entre eux à voix basse, en jetant des regards inquiets autour d’eux.

Ces hommes étaient des patriotes.

Malgré la terreur qui planait sur la ville, ils avaient, à force de prières, obtenu de l’archevêque de Santiago, véritable prêtre selon l’Évangile, dévoué au fond du cœur au parti libéral, que les derniers devoirs fussent rendus à leurs malheureux frères.

Rien du drame lugubre qui avait suivi l’exécution ne leur avait échappé. Ils avaient vu don Tadeo se lever comme un fantôme du monceau de cadavres qui le recouvrait, avaient entendu les paroles qu’il avait prononcées, et ils se préparaient à aller à lui, lorsque deux inconnus, apparaissant tout à coup, s’étaient emparés de son corps et l’avaient emporté.

Cet enlèvement d’un homme à demi mort les avait extrêmement étonnés.

Après avoir échangé quelques mots, deux d’entre eux s’étaient mis à la poursuite des inconnus, afin probablement de savoir pour quelle raison ils enlevaient ainsi le blessé, tandis que les autres, au nombre de douze, s’avançaient vers le milieu de la place.

Ils se penchèrent vivement sur les corps étendus à leurs pieds, espérant que peut-être une autre victime aurait échappé à cette odieuse boucherie.