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Le chef fronça imperceptiblement les sourcils ; le général feignit de ne pas s’en apercevoir, il continua :

— C’est à prendre ou à laisser, chef, le temps presse, toute nécessité perdue est un obstacle nouveau que nous créons ; répondez loyalement : acceptez-vous, oui ou non ?

Mis si brusquement en demeure, le toqui se recueillit un instant, puis se tournant vers le général :

— Et qui me garantira l’exécution de la promesse de mon frère ? dit-il en le regardant en face.

Ce fut au tour du général à être décontenancé.

Il se mordit les lèvres, mais se remettant presque aussitôt :

— Que mon frère me dise quelle garantie il demande ? dit-il.

Un sourire d’une expression indéfinissable plissa les lèvres d’Antinahuel.

Il fit un signe au Cerf Noir.

Celui-ci se leva et sortit de la hutte.

— Que mon frère attende un instant, dit impassiblement le toqui.

Le général s’inclina sans répondre.

Au bout d’une dizaine de minutes, le Cerf Noir rentra.

Il était suivi d’un guerrier aucas qui portait une espèce de table boiteuse, faite à la hâte de morceaux de bois mal équarris.

Sur cette table, le vieux toqui plaça silencieusement du papier, des plumes et de l’encre.

À cette vue le général tressaillit, il était pris.

Où et comment les Aucas s’étaient-ils procuré les divers objets qu’ils exhibaient ? c’est ce qu’il ne put deviner.

Antinahuel prit une plume, et jouant machinalement avec elle :

— Les visages pâles, dit-il, ont beaucoup de science, ils en savent plus que nous autres pauvres Indiens ignorants ; mon frère ne doute pas que j’ai fréquenté les Blancs, je connais donc plusieurs de leurs coutumes : ils possèdent l’art de déposer leur pensées sur le papier. Que mon frère prenne cette plume et qu’il me répète là, fit-il en désignant du doigt une feuille blanche, ce qu’il vient de me dire ; alors, comme je conserverai ses paroles, le vent ne pourra pas les emporter, et si la mémoire lui fait défaut quelque jour, eh bien ! il sera facile de les retrouver ; du reste, ce que je demande là à mon frère n’a rien qui doive le froisser, les visages pâles agissent toujours ainsi entre eux.

Le général saisit la plume et la trempa dans l’encre.

— Puisque mon frère se méfie de ma parole, dit-il d’un ton piqué, je suis prêt à faire ce qu’il désire.

— Mon frère a mal compris mes paroles, répondit Antinahuel ; j’ai en lui la plus grande confiance, je n’entends nullement lui faire injure ; seulement, je représente ma nation ; si, plus tard, les Ulmènes et les Apo-Ulmènes des Utal-Mapus me demandent compte du sang de leurs mosotones qui coulera comme de l’eau dans cette guerre, ils approuveront ma conduite dès que je leur montrerai ce collier sur lequel sera marqué le nom de mon frère.

Don Pancho vit qu’il ne lui restait plus d’échappatoire, il comprit que