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— Dans l’air.

— Très bien, répondit Valentin abasourdi par cette explication laconique, je ne comprends plus du tout.

Le chef ne put s’empêcher de sourire de la mine effarée du jeune homme.

— Si nous suivions servilement par derrière les traces du toqui, dit-il avec condescendance, comme il a deux jours d’avance sur nous, qu’il est à cheval et que nous sommes à pied, malgré toute la diligence que nous ferions, nous ne parviendrions que dans bien longtemps à l’atteindre, et peut-être serait-il trop tard.

— Caramba ! s’écria le jeune homme, c’est vrai, je n’avais pas songé à cela ; comment nous procurer des chevaux ?

— Nous n’en avons pas besoin, dans les montagnes on voyage plus vite à pied. Nous allons couper la piste en ligne droite ; chaque fois que nous la rencontrerons, nous relèverons soigneusement sa direction, et nous agirons toujours ainsi jusqu’à ce que nous nous croyions sûrs de trouver celle de la vierge pâle ; alors nous modifierons notre système de poursuite, d’après les circonstances.

— Oui, répondit Valentin, ce que vous me dites là me semble assez ingénieux, et de cette façon vous êtes certain de ne pas vous égarer, en un mot de ne pas faire fausse route ?

— Que mon frère soit tranquille.

— Oh ! parfaitement, chef, et dites-moi, en marchant ainsi à vol d’oiseau, quand pensez-vous atteindre celui que nous poursuivons ?

— Après-demain soir nous serons bien près de lui.

— Comment ! aussi promptement ? c’est incroyable.

— Que mon frère réfléchisse : pendant que notre ennemi, qui ne soupçonne pas qu’on le poursuit, mais qui cependant peut marcher vite, fera quatre lieues dans la plaine, en suivant le chemin que nous allons prendre, nous, nous en ferons huit dans les montagnes.

— Vive Dieu ! c’est affaire à vous pour dévorer l’espace. Agissez à votre guise, chef, je vois que nous ne pouvions avoir de meilleurs guides que vous deux.

Trangoil Lanec sourit.

— Partons-nous ? reprit Valentin.

— Pas encore, répondit l’Ulmen en désignant son compagnon occupé à confectionner des chaussures indiennes. Tout est indice dans le désert ; s’il arrive que ceux que nous poursuivons nous poursuivent à leur tour, vos bottes nous feront reconnaître. Vous allez les quitter, alors les guerriers araucans seront aveugles, car dès qu’ils verront des traces indiennes ils ne conserveront pas de méfiance.

Valentin, sans répondre, se laissa aller sur l’herbe et quitta ses bottes, mouvement qui fut imité par le comte.

— À présent, dit en riant le Parisien, je suppose qu’il faut que je les jette dans la rivière, hein ? afin qu’on ne les retrouve pas.

— Que mon frère s’en garde bien, répondit sérieusement Trangoil Lanec,