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— Ceci est raisonner en homme prudent, chef ; soumettez-nous donc vos observations, c’est du choc des idées que jaillit la lumière.

— Je pense, dit Trangoil Lanee, que pour retrouver la piste de la vierge pâle aux yeux d’azur, il nous faut retourner à San-Miguel, et de là nous lancer sur les traces des guerriers qui l’ont emmenée.

— C’est assez mon avis, appuya Valentin, je ne vois pas trop comment nous pourrions faire autrement.

Curumilla secoua négativement la tête.

— Non, dit-il, cette piste nous égarerait et nous ferait perdre un temps précieux.

Les deux Français le regardèrent avec étonnement, tandis que Trangoil Lanec continuait à fumer, le regard impassible.

— Je ne vous comprends pas, chef, dit Valentin.

Curumilla sourit.

— Que mon frère écoute, dit-il ; Antinahuel est un chef puissant et redouté, c’est le plus grand des guerriers araucans, son cœur est vaste comme le monde. Le toqui a déclaré la guerre aux visages pâles : cette guerre, il la fera cruelle, parce qu’il a auprès de lui un homme et une femme huincas qui, dans leur intérêt, le pousseront à envahir leur pays. Antinahuel rassemblera ses guerriers, mais il ne retournera pas dans son village ; la vierge aux yeux d’azur a été enlevée par la femme au cœur de vipère pour décider le chef à cette guerre, car le chef aime la vierge, et je l’ai dit à mes frères, la volonté du chef brûle ce qu’il ne peut atteindre ; le chef, obligé de rester à la tête des guerriers, ordonnera que la vierge lui soit amenée. Afin de découvrir la trace du puma femelle, les chasseurs suivent celle du mâle ; pour retrouver la piste de la jeune vierge, il faut suivre celle de Antinahuel, et nous reconnaîtrons que bientôt toutes deux s’enchaînent et se confondent. J’ai dit, que mes frères réfléchissent.

Il se tut, et baissant la tête sur la poitrine, il attendit.

Il y eut un silence assez long, ce fut le comte qui le rompit.

— Ma foi, dit-il, je ne sais que penser, les raisons que le chef vient de nous donner me semblent si bonnes que je suis prêt à m’y rendre.

— Oui, appuya Valentin, je crois que mon frère Curumilla a deviné juste : il est évident pour nous que Antinahuel aime doña Rosario, et que c’est dans le but de la lui livrer que cette hideuse créature, que notre ami appelle fort bien le cœur de vipère, a fait enlever la malheureuse enfant ; qu’en pensez-vous, chef ? demanda-t-il à Trangoil Lanec.

— Curumilla est un des Ulmènes les plus prudents de sa nation, il a le courage du jaguar et l’adresse du renard, lui seul a jugé sainement ; nous suivrons la piste de Antinahuel.

— Suivons donc la piste de Antinahuel, cela ne nous sera pas difficile, elle est assez large, dit gaiement Valentin.

Trangoil Lanec hocha la tête.

— Mon frère se trompe, nous suivrons effectivement la trace de Antinahuel, niais nous la suivrons à l’indienne.

— C’est-à-dire ?