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Le comte ne se le fit pas répéter, il se mit à l’œuvre.

La lettre, écrite sur une feuille de son agenda, fut bientôt prête.

Joan, de son côté, avait terminé ses préparatifs de départ.

— Frère, lui dit Valentin, en lui remettant le billet que l’Indien cacha sous le ruban qui ceignait ses cheveux, je n’ai aucune recommandation à vous faire : vous êtes un guerrier expérimenté, un homme au cœur fort, vous laissez ici des amis dans le souvenir desquels vous tiendrez toujours une grande place.

— Mon frère n’a rien à me dire ? répondit Joan, avec un sourire qui éclaira son martial visage d’un rayon de bonté sympathique ; je laisse mon cœur ici, je saurai l’y retrouver.

Il s’inclina devant ses amis ; puis le brave Indien s’éloigna rapidement en bondissant comme un guanacco dans les hautes herbes.

Bientôt ils le virent se jeter dans la rivière et la traverser à la nage.

Arrivé sur l’autre rive, il redressa son corps, ruisselant, fit un dernier signe d’adieu à ses amis et disparut dans un pli de terrain.

— Brave garçon ! murmura Valentin en se rasseyant devant le feu.

— C’est un guerrier, dit Trangoil Lanec avec orgueil.

— Maintenant, chef, reprit le spahi, causons un peu, voulez-vous ?

— J’écoute mon frère.

— Je vais m’expliquer : la tâche que nous entreprenons est difficile, j’ajouterais même qu’elle est impossible, si nous ne vous avions pas avec nous ; Louis et moi, malgré tout notre courage, nous serions contraints d’y renoncer, car dans ce pays, les yeux de l’homme blanc, si bons qu’ils soient, sont impuissants pour le diriger. Vous seuls pouvez nous guider sûrement vers le but ; que l’un de vous soit donc notre chef, nous lui obéirons avec joie, et nous nous laisserons conduire par lui comme il le jugera convenable ; ainsi, chef, entre nous pas de fausse délicatesse, vous et Curumilla êtes de droit chefs de l’expédition.

Trangoil Lanec réfléchit quelques minutes, puis il répondit :

— Mon frère a bien parlé, son cœur est sans nuages pour ses amis. Oui, la route est longue et hérissée de périls, mais que nos frères pâles s’en rapportent à nous : élevés dans le désert, il ne garde plus de mystères pour nous, et nous saurons déjouer les embûches et éventer les pièges qui nous seront tendus.

— Voilà qui est convenu, chef, dit Valentin, quant à nous, nous n’aurons qu’à obéir.

— Ce point réglé à la satisfaction commune, observa le comte, il en est un autre non moins important qu’il nous faut régler aussi séance tenante.

— Quel est ce point, frère ? demanda Valentin.

— Celui de savoir de quel côté nous nous dirigerons, et si nous nous mettrons bientôt en route.

— Immédiatement, répondit Trangoil Lanec ; seulement nous devons d’abord adopter une ligne de conduite dont nous ne nous écarterons plus pendant le cours du voyage.