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— Vous avez raison, général, fit le comte avec un sourire railleur.

Il prit son agenda, écrivit quelques mots sur une des pages, la déchira et la plia en quatre.

— Vous allez être satisfait séance tenante, dit-il ; et se tournant vers le rocher, il porta ses mains à sa bouche en les arrondissant en forme de porte-voix :

« Descendez un laço, cria-t-il avec force.

Presque immédiatement une longue corde en cuir passa par une des meurtrières et flotta bientôt à un pied du sol.

Le comte prit une pierre, l’enveloppa dans la feuille de papier et attacha le tout à l’extrémité du laço qui remonta.

Le jeune homme se croisa les bras sur la poitrine, et se tournant vers ceux qui l’entouraient :

— Vous aurez bientôt la réponse, dit-il.

Une certaine agitation régnait en ce moment parmi les Aucas : un Indien venait d’arriver tout effaré et de murmurer à l’oreille de Antinahuel quelques mots qui l’avaient bouleversé.

Le général avait échangé avec le sénateur un regard significatif.

Tout à coup, les fortifications mobiles entassées sur le sommet des rochers s’écartèrent comme par enchantement, et la plate-forme parut couverte de soldats chiliens armés de fusils ; un peu en avant d’eux se tenait Valentin avec son chien César.

Don Tadeo et les deux chefs indiens étaient seuls invisibles.

Valentin était nonchalamment appuyé sur son fusil.

Le comte ne savait s’il voulait en croire ses yeux, il se demandait vainement où ses amis avaient recruté ces nombreux soldats.

Cependant il ne se démonta pas, nulle trace de surprise ne passa sur son visage, il se retourna paisiblement vers les chefs et leur dit avec un sourire railleur :

— Vous voyez, messieurs, que la réponse ne s’est pas fait attendre ; écoutez bien, je vous prie.

— Monsieur le comte, cria Valentin avec une voix qui retentit avec l’éclat de la foudre, au nom de vos compagnons qui me chargent de vous répondre, vous avez eu raison de rejeter les propositions honteuses que l’on vous offrait ; nous sommes ici cent cinquante hommes résolus à périr plutôt que de les accepter.

Le chiffre de cent cinquante produisit un grand effet sur les chefs aucas, joint à la nouvelle qu’ils venaient de recevoir que leurs prisonniers chiliens avaient réussi à s’échapper du camp avec armes et bagages et à rejoindre les assiégés.

Est-il besoin d’expliquer que cette fuite des prisonniers avait été concertée et exécutée par doña Maria et le sénateur ?

Voilà quel était le projet qu’elle avait conçu pour obliger les Araucans à lever le siège, projet qui, de même que tous ceux formés par cette femme à l’esprit de démon, devait réussir par sa hardiesse même.

Le comte qui, lorsqu’il ne représentait qu’une garnison composée de trois