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— Celui que mon chien aime, je l’aime, guerrier, voici ma main, dit Valentin.

Joan serra cordialement cette main loyale, la franchise du Français lui avait gagné le cœur, entre ces deux hommes désormais c’était à la vie à la mort.

Trangoil Lanec s’était accroupi sur le sol, il fit signe à ses compagnons de prendre place à ses côtés.

Ceux-ci obéirent.

Après un moment de silence, pendant lequel il sembla rassembler ses pensées, le chef se tourna vers Joan :

— J’attendais ce soir, au coucher du soleil, dit-il, l’arrivée de Curumilla et de deux amis. Curumilla est un chef, sa parole est sacrée, la nuit s’avance, le hibou a déjà fait entendre son chant lugubre qui annonce le lever du soleil, Curumilla n’est pas venu, quelle raison l’en empêche ? Mon fils est un guerrier, il vient de la part de mon frère, qu’il parle, mes oreilles sont ouvertes.

Joan s’inclina respectueusement et tira de sa ceinture le morceau d’étoffe que lui avait remis Curumilla comme preuve de sa mission : l’Indien le présenta silencieusement.

— Un morceau du poncho de Curumilla ! s’écria violemment Trangoil Lanec en s’en emparant et le passant à Valentin, aussi ému que lui. Parle, messager de malheur, mon frère est-il mort ? De quelle terrible nouvelle es-tu porteur ? Parle, au nom de Pillian ! dis-moi les noms de ses assassins, afin qu’avec leurs os Trangoil Lanec se fasse des sifflets de guerre.

— Les nouvelles que j’apporte sont mauvaises ; cependant, au moment où je les ai quittés, Curumilla et ses compagnons étaient en sûreté et sans blessures.

Les deux hommes respirèrent.

— Curumilla, continua l’Indien, coupa ce morceau de son poncho et me le donna en me disant : Va trouver mes frères, montre-leur cette étoffe, alors ils te croiront et tu leur rapporteras dans tous ses détails la situation dans laquelle nous sommes ; je suis parti, j’ai fait douze lieues sans m’arrêter depuis le coucher du soleil, et me voilà.

Sur un signe de Trangoil Lanec, Joan fit alors le récit qu’on attendait de lui.

Ce récit fut long, l’Ulmen et Valentin l’écoutèrent avec la plus grande attention. Lorsqu’il fut terminé il y eut un silence.

Chacun réfléchissait à ce qu’il venait d’entendre.

Les nouvelles étaient effectivement mauvaises, la position des assiégés critique ; il était impossible que trois hommes, si résolus qu’ils fussent, pussent longtemps résister aux efforts combinés, d’un millier de guerriers furieux de la défaite que les Espagnols leur avaient infligée et qui brûlaient de prendre leur revanche.

Le secours qu’ils porteraient à leurs amis serait bien faible, peut-être arriverait-il trop tard.

Que faire ?