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— Eh bien ! demanda Curumilla à don Tadeo, que pense mon père ?… les Indiens se sont-ils retirés ?

— Vos prévisions étaient justes, chef, je dois en convenir. Hélas ! ajouta-t-il avec un soupir qui ressemblait à un sanglot, qui sauvera ma pauvre fille ?

— Moi, vive Dieu ! s’écria résolument le comte. Écoutez, chef, nous avons commis l’incroyable sottise de nous fourrer dans cette souricière, il faut en sortir à tout prix ; si Valentin était ici, son esprit inventif nous en donnerait les moyens, j’en suis convaincu. Je vais vous quitter, dites-moi où il est, je le ramènerai avec moi, et nous verrons si ce ramassis de démons pourra nous arrêter.

— Merci, dit chaleureusement don Tadeo, mais ce n’est pas vous, c’est moi, mon ami, qui dois tenter cette hasardeuse entreprise.

— Allons donc ! fit gaiement le jeune homme, laissez-moi faire, je suis certain que je réussirai.

— Oui, fit Curumilla, mes frères les visages pâles ont raison, Trangoil Lanec et mon frère aux cheveux d’or nous sont indispensables ; un homme ira les chercher, mais cet homme, ce sera Joan.

— Je connais la montagne, dit alors celui-ci, qui se mêla à l’entretien, les visages pâles ne savent pas les ruses indiennes, ils sont aveugles la nuit, ils s’égareraient et tomberaient dans un piège. Joan rampe comme la vivara, couleuvre, — il a le flair du chien bien dressé, il trouvera. Antinahuel est un Lapin, voleur des Serpents Noirs, Joan veut le tuer.

Sans ajouter une parole, l’Indien se débarrassa de son poncho, dont il se fit une ceinture, et se prépara à partir.

Avec son couteau, Curumilla trancha un morceau de son poncho large de quatre doigts environ, et le remit à Joan en lui disant :

— Mon fils remettra ceci à Trangoil Lanec afin qu’il reconnaisse de quelle part il vient, et il lui racontera ce qui se passe ici.

— Bon, fit Joan en serrant le morceau d’étoffe dans sa ceinture, où trouverai-je le chef ?

— Dans la tolderia de San-Miguel, où il nous attend.

— Joan va partir, dit l’Indien avec noblesse, s’il ne remplit pas sa mission, c’est qu’on l’aura tué.

Les trois hommes lui pressèrent chaleureusement la main.

L’Indien les salua et commença à descendre ; aux dernières lueurs du jour ils le virent en rampant atteindre les premiers arbres de la montagne du Carcovado ; arrivé là il se retourna, fit avec la main un geste d’adieu et disparut au milieu des hautes herbes.

Les aventuriers tressaillirent.

Un coup de fusil, presque immédiatement suivi d’un second, venait de retentir dans la direction prise par leur émissaire.

— Il est mort ! s’écria le comte avec désespoir.

— Peut-être ! répondit avec hésitation Curumilla, Joan est un guerrier prudent ; seulement mes frères voient que la fuite est impossible, et que nous sommes bien réellement cernés.

— C’est vrai, murmura don Tadeo avec accablement.

Et il laissa tomber sa tête dans ses mains.