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leurs cigares et fumèrent, les regards fixés vers la plaine, en attendant la nuit avec impatience.

Près d’une demi-heure s’écoula ainsi sans que rien vînt troubler la quiétude dont jouissaient les aventuriers.

Le soleil baissait rapidement à l’horizon, le ciel prenait peu à peu des teintes plus sombres, les cimes éloignées des montagnes s’effaçaient sous d’épais nuages de brume, enfin tout annonçait que la nuit n’allait pas tarder à couvrir la terre.

Tout à coup les vautours, qui s’étaient abattus en grand nombre sur les cadavres, dont ils faisaient une horrible curée, s’envolèrent et s’élevèrent tumultueusement dans les airs en poussant des cris discordants.

— Oh ! oh ! fit le comte, que se passe-t-il donc là-bas ?… cette déroute annonce quelque chose.

— Nous allons probablement savoir bientôt à quoi nous en tenir, et si nous sommes cernés ainsi que le prétend le chef, répondit don Tadeo.

— Mon frère verra, répliqua l’Ulmen avec un sourire malin.

Une troupe composée d’une cinquantaine de lanceros chiliens venait de sortir au grand trot du défilé.

En arrivant dans la plaine, elle obliqua un peu sur la gauche et s’engagea dans le sentier qui conduit à Santiago.

Don Tadeo et le comte cherchaient en vain à reconnaître les hommes qui composaient ce détachement et surtout le chef qui les commandait.

L’ombre était déjà trop épaisse.

— Ce sont des visages pâles, dit froidement Curumilla, dont les yeux perçants avaient du premier coup d’œil reconnu les nouveaux venus.

Cependant les cavaliers continuaient paisiblement à cheminer, ils semblaient être exempts de toute inquiétude, ce qui était facile à voir, car ils avaient leurs fusils rejetés en arrière sur leur dos, leurs longues lances traînaient nonchalamment, et c’est à peine s’ils conservaient leurs rangs.

Ces cavaliers formaient l’escorte que don Gregorio Peralta avait donnée à don Ramon Sandias pour l’accompagner jusqu’à Santiago.

Ils s’approchaient de plus en plus des épais taillis qui se trouvaient, comme des sentinelles avancées, un peu en avant de la forêt vierge, dans les profondeurs de laquelle ils n’allaient pas tarder à disparaître, lorsqu’un horrible cri de guerre répété par les échos des Quebradas retentit auprès d’eux, et une nuée d’Araucans les assaillit avec fureur de tous les côtés à la fois.

Les Espagnols, pris à l’improviste, épouvantés par cette attaque subite, ne firent qu’une molle résistance et se débandèrent dans toutes les directions.

Les Indiens les poursuivirent avec acharnement et bientôt tous furent pris ou tués.

Un pauvre diable qui s’était sauvé dans la direction du rocher où se tenaient les aventuriers, haletants et terrifiés de cet épouvantable massacre, vint tomber sous leurs yeux, le corps traversé de part en part d’un coup de lance.

Puis, comme par enchantement, Indiens et Chiliens, tous disparurent dans la forêt.