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tout en surveillant avec soin ce qui se passait dans la plaine, qui était encore plongée dans une solitude complète, bien que les cris et les coups de feu continuassent à se faire entendre dans le défilé.

Nous ne rapporterons pas ce que Joan raconta à ses amis, nos lecteurs le savent déjà, mais nous prendrons son récit au moment où lui-même quitta la bataille.

— Lorsque je vis, dit-il, que l’homme prisonnier avait réussi à s’échapper, malgré les vaillants efforts de ceux qui l’escortaient, je pensai qu’il vous serait peut-être utile d’apprendre cette nouvelle, et me faisant à grand’peine jour au milieu des combattants, je me jetai dans la forêt et je me mis à votre recherche, le hasard vous a placés en face de moi, lorsque je désespérais presque de vous rencontrer.

— Comment ! s’écria don Tadeo avec stupeur, cet homme est parvenu à se sauver !

— Oui, et vous ne tarderez pas, j’en suis sûr, à le voir dans la plaine.

— Vive Dieu ! s’écria énergiquement le jeune comte, si ce misérable passe à portée de mon fusil, je jure que je l’abattrai comme une bête puante.

— Oh ! fit don Tadeo, si cet homme est libre, tout est perdu !

Les cris redoublèrent, la fusillade éclata avec une force inouïe, et une masse d’Indiens déboucha en tumulte du défilé ; les uns courant éperdus dans toutes les directions, les autres cherchant, à résister à des ennemis invisibles encore.

Les quatre hommes se placèrent, le fusil en avant, sur le bord de la plate-forme.

Le nombre des fuyards croissait d’instants en instants.

La plaine, tout à l’heure si calme et si solitaire, offrait maintenant un spectacle des plus animés.

Les uns couraient comme s’ils étaient frappés de vertige, les autres se réunissaient par petites troupes et retournaient au combat.

De temps en temps on apercevait des hommes qui tombaient, beaucoup pour ne plus se relever ; d’autres, plus heureux, qui n’étaient que blessés, faisaient des efforts incroyables pour se relever et continuer à fuir.

Une troupe de cavaliers chiliens arriva au galop, refoulant devant elle les Araucans, résistant toujours.

En avant de cette troupe, un homme monté sur un cheval noir, sur le cou duquel était couché une femme évanouie, courait avec la rapidité d’une flèche.

Il gagnait incessamment du terrain sur les soldats, qui renoncèrent enfin à une vaine poursuite et rentrèrent dans le défilé.

— C’est lui ! c’est lui ! s’écria don Tadeo, c’est le général !

— Je le tiens au bout de mon fusil, répondit froidement le comte en lâchant la détente.

En même temps que lui, Curumilla tira ; les deux explosions se confondirent.

Le cheval s’arrêta court, il se dressa tout droit, battit l’air avec ses pieds