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— Et pour jouir de tous ces dons si précieux, il faut ?

— Simplement mâcher la coca comme les marins mâchent le tabac et les Malais le bétel.

— Diable ! fit le jeune homme, vous êtes trop sérieux, don Tadeo, pour que je suppose un seul instant que vous veuillez vous amuser de ma crédulité ; donnez-moi vite, je vous prie, cette drogue précieuse afin que j’en essaie ; en résumé, si cela ne me fait pas de bien…

— Cela ne vous fera pas de mal, c’est toujours une consolation, répondit en souriant don Tadeo, qui tendit au comte la coca qu’il avait préparée.

Celui-ci la mit sans hésiter dans sa bouche.

Curumilla, après avoir serré avec soin la boîte dans sa ceinture, avait sellé les chevaux.

Tout à coup une vive fusillade, suivie d’une explosion horrible de hurlements, éclata à peu de distance.

— Qu’est-ce que cela ? s’écria Louis en se levant brusquement.

— Le combat qui commence, répondit froidement Curumilla.

— Que ferons-nous ? demanda don Tadeo.

— Volons au secours de nos amis ! dit noblement le jeune homme.

Don Tadeo fixa sur l’Ulmen un regard interrogateur.

— Et la jeune fille ? dit l’Indien.

Le comte tressaillit, mais se remettant aussitôt :

— Nos compagnons sont à sa recherche, dit-il ; nous avons ici des ennemis cruels qu’il est de notre devoir de mettre dans l’impossibilité de nuire.

En ce moment les cris redoublèrent, le bruit de la fusillade devint plus fort.

— Décidons-nous, continua vivement le jeune homme.

— Allons ! s’écria résolument don Tadeo, une heure de retard ne causera pas grand dommage à ma fille.

— À cheval, alors, dit le chef.

Les trois hommes se mirent en selle.

Au fur et à mesure qu’ils approchaient, le bruit du combat acharné qui se livrait dans le défilé devenait plus distinct, ils reconnaissaient parfaitement le cri de guerre des Chiliens qui se mêlait aux hurlements des Araucans, parfois des balles venaient s’aplatir ou ricocher sur les arbres autour d’eux.

Si ce n’eût été l’épais rideau de feuillage qui les masquait, ils auraient vu les combattants.

Cependant, sans tenir compte des obstacles sans nombre qui s’opposaient à leur course, les cavaliers galopaient à fond de train, au risque de rouler dans les précipices qu’ils longeaient sans y faire attention.

— Halte ! cria soudain l’Ulmen.

Les cavaliers retinrent la bride de leurs chevaux inondés de sueur.

Curumilla avait conduit ses amis à une place qui commandait entièrement la sortie du défilé du côté de Santiago.

C’était une espèce de forteresse naturelle, composée de blocs de granit bizarrement empilés les uns sur les autres par quelque convulsion de la nature, un tremblement de terre peut-être.