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réclamer des droits à votre reconnaissance, vous me devez la vie ; ne serait-ce que pour ce service, vous êtes obligé de m’entendre.

— Eh ! madame ! répondit fièrement don Tadeo, pensez-vous donc que je considère ce que vous avez fait comme un service ? de quel droit m’avez-vous sauvé la vie ? Vous me connaissez bien mal, si vous avez cru que je me laisserais attendrir par vos larmes ? Non ! non ! trop longtemps j’ai été votre dupe et votre esclave. Dieu soit loué ! aujourd’hui je vous connais, et la Linda, maîtresse du général Bustamente, le tyran de mon pays, le bourreau de mes frères et le mien, n’a rien à attendre de moi ! Tout ce que vous direz, tout ce que vous ferez, sera inutile. Je ne vous répondrai pas. Épargnez-vous, croyez-moi, cette feinte douceur, qui ne va ni à votre caractère, ni à votre façon de comprendre la vie. Je vous ai follement aimée, jeune fille pure et sage, lorsque, dans la cabane du digne huaso, votre père, dont vos débordements ont causé la mort, on vous nommait Maria. À cette époque, pour vous j’aurais avec joie sacrifié ma vie et mon bonheur, vous le savez, madame ! Maintes fois je vous ai donné des preuves de cet amour insensé ; mais la Linda, la courtisane éhontée qui, dans une orgie, se livre sans vergogne, la Linda, cette femme marquée au front comme Caïn, d’un stigmate d’infamie ! Arrière, madame ! il n’y a rien de commun entre vous et moi !

Et, d’un geste d’une autorité suprême, il l’obligea à s’écarter.

La femme l’avait écouté, l’œil étincelant, la poitrine haletante, frissonnante de rage et de honte. La sueur coulait sur son visage couvert d’une rougeur fébrile.

Lorsqu’il se tut, elle lui serra le bras avec force, et approchant son visage du sien :

— Avez-vous tout dit ? fit-elle d’une voix basse et saccadée. M’avez-vous abreuvée d’assez d’outrages ? m’avez-vous jeté assez de fange à la face ? n’avez-vous rien à ajouter encore ?

— Rien, madame, répondit-il avec un accent de froid mépris. Vous pouvez, quand vous le voudrez, appeler vos assassins, je suis prêt à les recevoir.

Et, se laissant aller sur le lit de repos, il attendit de l’air le plus insolemment indifférent que l’on puisse imaginer.




VII

MARI ET FEMME


Dona Maria, malgré la nouvelle et sanglante insulte qu’elle venait de recevoir de don Tadeo, ne renonça pas encore à l’espoir de l’attendrir.

Lorsqu’elle se rappelait les premières années, déjà si loin d’elle, de son amour pour don Tadeo, le dévouement de cet homme à ses moindres caprices, comme elle le faisait se prosterner tremblant à ses pieds d’un regard ou