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— Je ferai ce qu’il plaira à mes frères.

Valentin, qui déjà était au courant des mœurs araucanes, se leva, et tirant deux piastres fortes de sa poche, il les présenta à l’Indienne en lai disant :

— Ma sœur me permettra de lui offrir ceci pour se faire des boucles d’oreilles.

À ce cadeau magnifique, les yeux de la pauvre femme brillèrent de joie.

— Je remercie mon frère, dit-elle, mon frère est un muruche, peut-être est-il parent de la jeune fille pâle qui était ici ? Il désire savoir ce qu’elle est devenue, je le lui dirai.

Valentin admira intérieurement la pénétration de cette femme, qui du premier coup avait deviné sa pensée.

— Je ne suis pas son parent, dit-il, je suis son ami, je lui porte un grand intérêt, et j’avoue que si ma sœur peut me renseigner sur son compte elle me rendra heureux.

— Je le ferai, répondit-elle.

Elle pencha la tête sur sa poitrine et resta pensive un instant : elle recueillait ses souvenirs.

Les deux hommes attendaient avec impatience.

Enfin elle releva la tête et s’adressant à Valentin :

— Il y a quelques jours, fit-elle, une grande femme des visages pâles, à l’œil brûlant comme un rayon de soleil du midi, arriva ici vers le soir, suivie d’une dizaine de mosotones ; je suis malade, ce qui fait que depuis un mois je reste au village au lieu d’aller aux champs ; cette femme me demanda à passer la nuit dans ma hutte, l’hospitalité ne peut se refuser, je lui dis qu’elle était chez elle. Vers la moitié de la nuit il se fit un grand bruit de chevaux dans le village, et plusieurs cavaliers arrivèrent amenant avec eux une jeune vierge des visages pâles, au regard doux et triste ; celle-là était prisonnière de l’autre, ainsi que je l’appris plus tard. Je ne sais comment fit cette jeune fille, mais elle parvint à s’échapper pendant que la grande femme pâle était en conférence avec Antinahuel qui, lui aussi, venait d’arriver ; cette femme et le toqui se mirent à la recherche de la jeune fille ; bientôt ils la ramenèrent attachée sur un cheval et la tête fendue ; la pauvre enfant était évanouie, son sang coulait en abondance, elle faisait pitié. Je ne sais ce qui se passa, mais la femme qui jusqu’alors l’avait continuellement maltraitée changea subitement de manière d’agir avec la jeune fille, la pansa et prit d’elle les soins les plus affectueux.

À ces dernières paroles, Trangoil Lanec et Valentin échangèrent un regard.

L’Indienne continua :

— Ensuite, Antinahuel et la femme partirent en laissant la jeune fille dans ma hutte avec une dizaine de mosotones pour la garder. Un des mosotones me dit que cette fille appartenait au toqui qui avait l’intention d’en faire sa femme ; et comme on ne se méfiait pas de moi, cet homme m’avoua que cette enfant avait été volée à sa famille par la grande femme qui l’avait vendue au chef, et que, pour que sa famille ne pût pas la retrouver, aussitôt qu’elle