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Ils avaient soixante-dix hommes tués et cent quarante-trois blessés.

Plusieurs officiers, au nombre desquels se trouvait le général Cornejo, avaient succombé.

Ce fut en vain que l’on chercha Joan. L’intrépide Indien était devenu invisible.

La perte des Araucans était bien plus grande encore, ils laissaient plus de trois cents morts sur le terrain.

Les blessés avaient été emportés par leurs compatriotes, mais tout faisait supposer qu’ils étaient nombreux,

Don Gregorio était désespéré de la fuite du général Bustamente.

Cette fuite pouvait avoir pour la sécurité du pays des résultats excessivement mauvais.

Il fallait immédiatement prendre des mesures sévères.

Il était désormais inutile que don Gregorio se rendît à Santiago ; il était urgent au contraire qu’il retournât à Valdivia, afin d’assurer la tranquillité de cette province, que la nouvelle de l’évasion du général troublerait sans doute ; mais, d’un autre côté, il était tout aussi important que les autorités de la capitale fussent prévenues pour qu’elles se tinssent sur leurs gardes.

Don Gregorio se trouvait, dans une perplexité extrême, il ne savait qui charger de cette mission, lorsque le sénateur vint le tirer d’embarras.

Ce digne don Ramon avait fini par prendre son courage au sérieux, il se croyait de bonne foi l’homme le plus vaillant du Chili, et déjà, sans y penser, il affectait des airs penchés à mourir de rire.

Plus que jamais, il était tourmenté du désir de retourner à Santiago, non qu’il eût peur : loin de là ! qui, lui ? peur ! allons donc ! mais il brûlait d’envie d’étonner ses amis et ses connaissances en leur racontant ses incroyables exploits.

Cette raison était la seule qui l’engageât à se retirer, ou du moins c’est la seule qu’il faisait valoir.

En apprenant que les troupes retournaient à Valdivia, il se présenta à don Gregorio, en lui demandant l’autorisation de continuer sa route vers la capitale.

Don Gregorio fut charmé de cette ouverture qu’il accueillit avec un sourire gracieux.

Il accorda au sénateur ce que celui-ci lui demandait, et de plus il le chargea de porter la double nouvelle de la bataille gagnée sur les Indiens, bataille à laquelle, lui, don Ramon, avait pris une si large part de gloire, et la fuite imprévue du général Bustamente.

Don Ramon accepta avec un sourire de satisfaction orgueilleuse cette mission si honorable pour lui ; séance tenante, il monta à cheval et, escorté par cinquante lanceros, il partit pour Santiago.

Les Indiens n’étaient pas à redouter en ce moment, ils venaient de recevoir une trop rude leçon pour être tentés de recommencer bientôt.

Don Gregorio quitta le défilé après avoir enterré ses morts, et retourna à Valdivia en abandonnant aux vautours, qui en firent curée, les cadavres des Araucans.