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une légère blessure à la tête, le général Cornejo avait le bras traversé par l’arme de son adversaire.

D’un bond don Pancho fut debout, le général Cornejo voulut en faire autant, mais soudain un genou pesa lourdement sur sa poitrine et l’obligea de retomber sur le sol.

— Pancho ! Pancho ! s’écria avec un rire de démon doña Maria, car c’était elle, vois comme je tue tes ennemis.

Et d’un mouvement plus prompt que la pensée, elle plongea son poignard dans le cœur du général.

Celui-ci lui jeta un regard de mépris, poussa un soupir et ne bougea plus.

Il était mort.

Don Pancho n’avait pas entendu l’appel de la courtisane, il se défendait à grand’peine contre les nombreux ennemis qui l’attaquaient de tous les côtés à la fois.

Don Ramon semblait avoir puisé du courage dans l’intensité même de sa terreur.

Le hasard du combat l’avait porté à deux pas de doña Maria, au moment où celle-ci poignardait froidement le général Cornejo. Par une de ces anomalies de caractère qui ne se peuvent expliquer, mais qui font que souvent on aime ceux-là mêmes qui paraissent prendre le plus de plaisir à nous tourmenter, le digne sénateur professait une profonde estime pour le général, qui en avait fait son plastron ; à la vue du meurtre odieux commis par la courtisane, une rage inexprimable s’empara de don Ramon, et levant son sabre :

— Vipère, s’écria-t-il, je ne veux pas te tuer parce que tu es femme, mais je te mettrai du moins dans l’impossibilité de nuire.

La Linda tomba en poussant un cri de douleur : il lui avait balafré le visage du haut en bas !

Ce cri de hyène blessée fut tellement effroyable que les combattants tressaillirent ; le général Bustamente l’entendit : d’un bond il se trouva auprès de son ancienne maîtresse, que la plaie qui lui traversait la figure rendait hideuse ; il se pencha légèrement de côté et, la saisissant par ses longs cheveux, il la jeta en travers sur le cou de son cheval ; puis il enfonça les éperons dans les flancs de sa monture et se précipita tête baissée au plus fort de la mêlée.

Malgré les efforts inouïs des Chiliens pour ressaisir le fugitif, il parvint à leur échapper, grâce à un hasard providentiel, avant que les cavaliers eussent réussi à l’entourer entièrement.

Les Indiens avaient obtenu le résultat qu’ils désiraient, la délivrance du général ; pour eux le combat n’avait plus de but, d’autant plus que les Espagnols, les ayant contraints à abandonner leurs positions, en faisaient un carnage horrible.

À un signal d’Antinahuel, les Indiens se jetèrent de chaque côté du défilé et escaladèrent les rochers avec une vélocité incroyable, sous une grêle de balles.

Le combat était fini.

Les Araucans avaient disparu.

Les Chiliens se comptèrent.

Leurs pertes étaient grandes.