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plus une lutte réglée où la tactique et l’habileté peuvent suppléer au nombre, c’était un duel immense, où chacun cherchait son adversaire afin de se battre corps à corps.

Antinahuel écumait de rage, il se consumait en vains efforts pour rompre le réseau de fer que ses ennemis avaient formé autour de lui.

Cercle qui se resserrait sans cesse et qui le menaçait à chaque instant davantage ; obligé de se défendre contre les soldats chiliens qui s’étaient postés au-dessus de lui, il était aux abois.

Dans le défilé, les cavaliers espagnols avaient fait face en tête et face en arrière et poussaient des charges terribles contre les Indiens qui les harcelaient.

Enfin, par un effort suprême, Antinahuel réussit à rompre les rangs pressés des ennemis qui l’enveloppaient et se précipita dans le défilé, suivi de ses guerriers, en faisant tourner sa lourde hache au-dessus de sa tête.

Le Cerf Noir parvint à opérer le même mouvement.

Mais les cavaliers chiliens de Joan, embusqués en arrière, s’élancèrent du pli de terrain qui les cachait avec de grands cris et vinrent, en sabrant tout devant eux, augmenter encore la confusion.

La Linda suivait pas à pas Antinahuel, les yeux brillants, les lèvres serrées, humant comme une bête fauve le sang par tous les pores.

Don Gregorio et le général Cornejo faisaient des prodiges de valeur ; sous leurs sabres les Indiens tombaient comme des fruits mûrs sous la gaule qui les touche.

Cette horrible boucherie ne pouvait plus longtemps durer, les morts s’entassaient sous les pieds des chevaux et les faisaient trébucher, les bras se lassaient à force de frapper.

— En avant ! en avant ! criait don Gregorio d’une voix de tonnerre.

Chile ! Chile ! répétait le général en abattant un homme à chaque coup.

Don Ramon, plus mort que vif, que la vue de tout ce sang paraissait avoir rendu fou, combattait comme un démon : il faisait tournoyer son sabre, écrasait du poitrail de son cheval ceux qui s’approchaient trop de lui, et poussait des cris inarticulés en se démenant comme un énergumène.

Cependant, don Pancho Bustamente, cause de ce carnage, qui jusqu’à ce moment était demeuré spectateur impassible de ce qui se passait autour de lui, s’empara brusquement du sabre de l’un des soldats chargés de veiller sur lui, fit bondir son cheval et s’élança en avant, en criant d’une voix formidable :

— À moi ! à moi !

À cet appel, les Araucans répondirent par des hurlements de joie et se précipitèrent de son côté.

— Oh ! oh ! s’écria une voix railleuse, vous n’êtes pas libre encore, don Pancho.

Le général Bustamente se retourna, il était face à face avec le général Cornejo, qui avait fait franchir à son cheval un monceau de cadavres.

Les deux hommes, après avoir échangé un regard de haine, se précipitèrent au-devant l’un de l’autre, le sabre levé.

Le choc fut terrible, les deux chevaux s’abattirent, don Pancho avait reçu