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du cœur du chef araucanien toute autre pensée que celle de la lutte qu’il allait soutenir.

— Oui, répondit-il avec élan, combattons ! après la victoire, nous châtierons les traîtres.

Il poussa son cri de guerre d’une voix retentissante.

Les Indiens lui répondirent par des hurlements de fureur qui glacèrent d’effroi le sénateur don Ramon Sandias.

Le plan des Araucans était des plus simples : laisser les Espagnols s’engager dans le défilé, puis les attaquer à la fois en avant et en arrière, pendant que les guerriers, embusqués sur les flancs, feraient pleuvoir sur eux des blocs énormes de rochers.

Une partie des Indiens s’était bravement jetée devant et derrière les Espagnols dans l’intention de leur barrer le passage.

Antinahuel se leva, et encourageant ses guerriers du geste et de la voix, il fit rouler une énorme pierre au milieu des ennemis.

Tout à coup une grêle de balles vint en crépitant pleuvoir sur sa troupe, et autour du poste qu’il occupait se montrèrent comme de sinistres fantômes les faux Indiens de Joan, qui le chargèrent résolument au cri de :

— Chili ! Chili !

— Nous sommes trahis ! hurla Antinahuel, tue ! tue !

Dans le ravin et sur les flancs des deux montagnes qui le bordaient, commença une horrible mêlée.

Pendant une heure la lutte fut un chaos, la fumée et le bruit enveloppaient tout.

Le défilé était rempli d’une masse de combattants qui allaient, venaient, se retiraient pour revenir encore, se heurtant, se poussant, se bousculant avec des cris de rage, de douleur ou de victoire.

Des cavaliers chargeaient à toute bride, d’autres galopaient éperdus, au milieu des piétons effrayés.

Des blocs de rochers, lancés du haut des montagnes, venaient en ricochant bondir parmi les combattants, écrasant indistinctement amis et ennemis.

Des Indiens et des Chiliens, précipités du poste élevé qu’ils occupaient, se brisaient sur les cailloux de la route.

Les Araucans ne reculaient pas d’un pouce, les Chiliens n’avançaient point d’un pas.

La mêlée ondulait comme les flots de la mer dans la tempête.

La terre était rouge de sang.

Les hommes, rendus furieux par cette lutte acharnée, étaient ivres de rage et brandissaient leurs armes avec des cris de défi et de colère.

Au milieu des combattants, Antinahuel bondissait comme un tigre, renversant tous les obstacles, et ramenant incessamment à la charge ses compagnons que la résistance désespérée de leurs ennemis décourageait.

Chiliens et Indiens étaient tour à tour vainqueurs et vaincus, assiégeants et assiégés.

Le combat avait pris les proportions grandioses d’une épopée ; ce n’était