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— Celui sur lequel vous êtes convenu d’allumer le feu du signal.

— Oui, hâtons-nous de le préparer.

Les trois hommes ramassèrent du bois sec, dont de grandes quantités étaient éparses çà et là, et, sur la pointe la plus avancée de la montagne, ils élevèrent un immense bûcher.

— Maintenant, reprit Curumilla, reposez-vous un peu, et surtout ne bougez pas jusqu’à mon retour.

— Où allez-vous donc, chef ? demanda le comte.

— Compléter notre plan d’attaque.

Et, sans entrer dans plus de détails, Curumilla se lança sur la pente abrupte de la montagne où il disparut presque instantanément au milieu des arbres.

Les deux amis s’assirent auprès du bûcher, et attendirent en rêvant le retour de l’Ulmen.

La troupe commandée par Joan s’approchait du défilé en affectant toutes les allures indiennes.

Bientôt elle se trouva à moins d’une portée de fusil du cañon.

Antinahuel l’avait aperçue. Depuis longtemps déjà il surveillait ses mouvements.

Malgré sa finesse, le toqui ne soupçonna pas un instant un piège.

Il se croyait certain que les Espagnols ignoraient l’embuscade qu’il leur avait dressée.

Qui aurait pu les en avertir ?

La présence en tête de la troupe de Joan, qu’il reconnut au premier coup d’œil, acheva de le rassurer et de lui inspirer la plus entière confiance.

Il supposa, ce qui du reste était probable, que ces Indiens étaient des retardataires qui, à cause de l’éloignement de leur campement, n’avaient pas été prévenus à temps par les émissaires du vice-toqui, et qui se hâtaient de rejoindre leurs compagnons.

De son côté, le Cerf Noir, avec non moins de raison, supposa que Antinahuel avait, en se rendant au cañon après leur entrevue, fait prévenir les arrivants.

Tout conspirait donc pour plonger les deux chefs dans la plus complète erreur.

Joan s’avançait toujours avec la même audace ; seulement, au fur et à mesure qu’il approchait du défilé, par une manœuvre convenue entre lui et les Espagnols, il pressait son cheval de telle sorte qu’à l’entrée du cañon il était à environ soixante pas de sa troupe.

Il s’enfonça dans le défilé sans témoigner la moindre hésitation.

À peine avait-il fait une dizaine de pas en avant, qu’un Indien, sortant d’un épais taillis, sauta légèrement sur le sol, en face de lui.

Cet Indien était Antinahuel lui-même.

Joan tressaillit intérieurement à la vue du chef redouté de tous, mais son visage demeura impassible.

— Mon fils arrive bien tard, dit le toqui en lui jetant un regard louche