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mouvement qu’il se donnait portait à supposer qu’il disait vrai, et qu’en effet il était bien guéri.

Une autre inquiétude minait encore le jeune homme : Valentin, son chien César et Trangoil Lanec étaient partis depuis trois jours, sans que l’on sût ce qu’ils étaient devenus.

Curumilla, dont l’arrivée avait été annoncée par Joan, n’avait pas non plus donné signe de vie.

Toutes ces raisons augmentaient, dans des proportions énormes, l’impatience du jeune homme.

De son côté, don Tadeo n’était pas plus tranquille.

Le pauvre père, les yeux constamment fixés sur les hautes montagnes araucaniennes, frémissait de douleur à la pensée des souffrances auxquelles sa fille chérie était exposée au milieu de ses ravisseurs.

Cependant, par une singulière inconséquence de l’esprit humain, à cette immense douleur, qui lui serrait le cœur comme dans un étau, se mêlait chez don Tadeo un sentiment indéfinissable de joie en songeant aux tortures qu’il infligerait a son tour à doña Maria, en lui révélant que celle qu’elle avait pris tant de bonheur à martyriser était sa fille, c’est-à-dire le seul être qu’elle aimât réellement au monde, la cause innocente de sa haine contre don Tadeo, celle enfin pour laquelle, dans son amour de bête fauve, elle voudrait racheter chaque larme par une pinte de son sang.

Don Tadeo, âme d’élite, doué de sentiments nobles et élevés, repoussait avec force cette pensée, inspirée par la haine, mais toujours elle revenait plus vive et plus tenace, tant le désir de la vengeance est inné dans le cœur de l’homme.

Don Gregorio, entre les mains duquel don Tadeo avait remis le pouvoir, hâtait, poussé par Louis qui ne le quittait pas une minute, les préparatifs de départ pour le lendemain.

Il était environ huit heures du soir, dans une des salles réservées du cabildo, don Gregorio, après leur avoir donné certaines instructions, avait congédié le général Cornejo et le sénateur Sandias, chargés d’accompagner don Pancho Bustamente à Santiago. Ils causaient avec don Tadeo et le comte du voyage du lendemain, seul sujet qui, en ce moment, pût intéresser nos trois personnages, lorsque la porte s’ouvrit brusquement et un homme entra.

A sa vue, ils poussèrent un cri de joie et d’étonnement.

Cet homme était Curumilla.

— Enfin ! s’écrièrent ensemble Louis et don Tadeo.

— Me voici ! répondit tristement l’Ulmen.

Le pauvre Indien paraissait accablé de fatigue et de besoin ; on le fit asseoir et on se hâta de lui offrir des rafraîchissements.

Malgré toute l’impassibilité indienne et la dignité à laquelle les chefs sont habitués dès leur enfance, Curumilla se jeta littéralement sur les vivres qu’on lui servit et les dévora.

Cette façon d’agir, si en dehors des coutumes araucanes, donna fort à réflé-