Car, à un signal donné, les Araucans peuvent sans difficulté, en moins de quelques jours, mettre sous les armes une armée de vingt mille hommes.
Malheureusement pour les deux chefs des factions chiliennes, celui avec lequel ils prétendaient s’allier était lui-même un homme, nous ne dirons pas ambitieux — il ne pouvait pas espérer obtenir un rang plus élevé que celui qu’il avait atteint — mais essentiellement patriote et dévoré du devoir de restituer à ses compatriotes les parcelles de territoire qu’en différentes fois, et à la suite de guerres malheureuses pour eux, les Espagnols leur avaient enlevées et enclavées dans la République chilienne ; il voulait, ce qui était presque impossible, pousser d’un côté les frontières araucanes jusqu’au Rio Conception, et de l’autre au détroit de Magallaës.
De même que la plupart des rêves des conquérants, celui-ci était presque irréalisable. Les Chiliens, quelque faibles qu’ils soient numériquement, partout, en comparaison de leurs féroces adversaires, sont, nous nous plaisons à leur rendre cette justice, de fort braves soldats, instruits, disciplinés, commandés par de bons officiers qui possèdent une connaissance assez approfondie de la tactique et de la stratégie militaire, pour défier tous les efforts des Araucans.
La petite troupe de cavalerie, en tête de laquelle marchaient Antinahuel et la Linda, s’avançait rapidement et silencieusement sur la route qui conduit de San-Miguel à la vallée où s’était accompli la veille le renouvellement des traités.
Au lever du soleil ils débouchèrent dans la plaine ; ils n’avaient encore fait que quelques pas en avant dans les hautes herbes qui bordent les rives de la petite rivière dont nous avons parlé, lorsqu’ils virent un cavalier accourir à toute bride au-devant d’eux.
Ce cavalier était le Cerf Noir.
Antinahuel ordonna à son escorte de s’arrêter pour l’attendre.
— À quoi bon cette halte ? observa doña Maria, continuons à avancer, au contraire.
Antinahuel la regarda avec ironie.
— Ma sœur est soldat ? dit-il,
La Linda se mordit les lèvres, mais ne répondit pas.
Elle avait compris qu’elle avait commis une faute, en se mêlant d’une chose qui ne la regardait pas.
En Araucanie, ainsi que dans tous les pays habités par la race indienne, la femme est une espèce d’Ilote condamnée aux plus rudes travaux, mais qui ne doit, sous aucun prétexte, se mêler de choses qui sont de la compétence des hommes.
Les chefs surtout sont, à cet égard, d’une sévérité dont rien n’approche, et bien que doña Maria fût Espagnole et presque la sœur du chef, celui-ci, malgré sa prudence et le désir qu’il avait de ne pas s’aliéner sa bienveillance, à cause de son amour pour doña Maria, n’avait pu s’empêcher de lui faire une observation, afin de l’avertir qu’elle était femme, et que, comme telle, elle devait laisser agir les hommes à leur guise.
Doña Maria, mortifiée de cette dure apostrophe, tira la bride de son cheval