Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le moyen de fabriquer de la poudre, malgré les nombreux efforts qu’ils ont tentés.

Nous rapporterons à ce propos une anecdote qui nous a été racontée à Tucapel et dont, malgré son apparence fabuleuse, nous garantissons la véracité.

Il y avait beaucoup de nègres dans les armées espagnoles ; à tort ou à raison les Araucans se figurèrent que la poudre se fabriquait avec un extrait du corps de ces pauvres diables.

En conséquence, afin de savoir positivement à quoi s’en tenir, ils mirent tous leurs soins à s’emparer d’un nègre.

Cela ne fut pas difficile, ils eurent bientôt un prisonnier noir ; alors, sans perdre de temps, ils le firent brûler tout vif ; dès que le corps de ce malheureux eut été réduit en charbon, ils le pulvérisèrent afin d’obtenir le résultat tant désiré.

Mais ils furent promptement détrompés sur leurs principes chimiques, et ils durent renoncer à se procurer de la poudre par ce moyen.

Par la suite, ils se bornèrent à se servir des armes à feu dont ils s’emparaient ; nous devons ajouter qu’ils manient le fusil avec autant d’adresse que le soldat le plus aguerri.

L’armée se met en marche au son des tambours, précédée par des batteurs d’estrade, afin d’éclairer la route.

Infanterie et cavalerie, l’armée entière est à cheval tout le temps de sa marche, ce qui donne une grande rapidité à ses mouvements ; mais le moment venu de livrer bataille, l’infanterie met pied à terre et forme ses lignes.

Comme dans ce pays tout individu en état de porter les armes est soldat, personne ne contribue à la subsistance de l’armée, chaque homme est obligé de porter ses vivres et ses armes avec lui.

Ces vivres consistent en un sac de harina tostada — farine rôtie — pendu à l’arçon de leur selle ; de cette façon, ces troupes dénuées de tous bagages manœuvrent avec une célérité sans exemple, et comme elles sont fort vigilantes, il arrive souvent qu’elles surprennent l’ennemi.

De même que tous les peuples guerriers, les Araucans connaissent et emploient tous les stratagèmes usités en campagne.

Lorsqu’ils campent la nuit, ils entourent leur position de larges tranchées, construisent des ouvrages militaires fort ingénieux, et chaque soldat est obligé d’entretenir devant sa tente un feu de bivouac, dont le nombre considérable, lorsque l’armée est forte, éblouit les yeux de l’ennemi et garantit les Araucans de toutes surprises, d’autant plus que leur camp est entouré de trois rangs de sentinelles qui, au moindre mouvement suspect, se replient les unes sur les autres, et donnent ainsi à l’armée le temps de se mettre sur la défensive.

On voit par ce qui précède, que le Roi des Vengeurs et le général Bustamente avaient un grand intérêt, chacun à son point de vue, à se ménager l’alliance de cette nation belliqueuse, et à tâcher d’attirer son chef Antinahuel dans leurs intérêts.