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Un râle sourd s’échappait de sa poitrine oppressée.

Lorsque ses ordres furent accomplis, la Linda se mit en selle, prit en bride le cheval qui portait sa victime, piqua des deux et partit au galop.




VI

L’AMOUR D’UN INDIEN


La Linda rejoignit bientôt Antinahuel qui, sachant quelle torture elle se préparait à infliger à la jeune fille, s’était arrêté à quelques pas du lieu où il l’avait laissée, afin de l’obliger à ralentir la rapidité de sa course.

Ce fut en effet ce qui arriva : quelque désir que doña Maria eût de presser le pas des chevaux, le chef, avec cet entêtement inerte de l’homme qui ne veut pas comprendre, feignit de ne point s’apercevoir de son impatience et continua à s’avancer au trot jusqu’à ce que l’on fût arrivé à San-Miguel.

Cet acte d’humanité, si en dehors du caractère et des habitudes du chef araucan, sauva la vie de doña Rosario, que tuait le galop du cheval sur lequel elle était attachée.

Lorsque l’on eut atteint la tolderia, les cavaliers mirent pied à terre, la jeune fille fut détachée et transportée, à demi-morte, dans le cuarto où, une heure auparavant, elle s’était, pour la première fois, trouvée en présence de la courtisane.

Les Indiens qui la portaient la jetèrent brutalement à terre dans un coin et sortirent ; la tête de la pauvre enfant rebondit sur le sol avec un son mat.

L’aspect de doña Rosario était réellement affreux, et aurait ému de pitié toute autre que la tigresse qui se plaisait à la maltraiter si cruellement.

Ses longs cheveux, détachés, tombaient en désordre sur ses épaules à demi nues et étaient collés par places sur son visage avec le sang qui avait coulé de sa blessure ; sa figure, souillée de sang et de boue, avait une teinte verdâtre, ses lèvres entrouvertes laissaient à découvert ses dents serrées.

Ses poignets et ses chevilles, auxquels pendaient encore les tronçons de la corde grossière avec laquelle on l’avait attachée sur le cheval, étaient meurtris et diaprés de larges ecchymoses sanguinolentes.

Tout son corps frémissait, agité de tressaillements nerveux, et sa poitrine haletante ne laissait qu’avec peine exhaler sa respiration sifflante.

Elle était toujours évanouie.

La Linda et Antinahuel entrèrent.

— Pauvre fille ! murmura le chef.

La Linda le regarda avec un feint étonnement.

— Je ne vous reconnais plus, chef, lui dit-elle avec un sourire sardonique ; mon Dieu, comme l’amour change un homme ! Comment, vous, Antinahuel, le plus intrépide guerrier des quatre Utal-Mapus de l’Araucanie, vous vous