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Dès qu’il vit doña Rosario installée commodément dans le creux de l’arbre, le chef ramena les broussailles dans leur position primitive et dissimula complètement la cachette sous ce transparent rideau.

Il s’assura par un dernier regard que tout était bien en ordre et que l’œil le plus exercé ne pourrait soupçonner que les buissons avaient été dérangés, puis il regagna les chevaux, monta sur le sien, prit en main la bride de l’autre et partit à fond de train ; coupant à angle droit la route que devaient suivre ceux qui le poursuivaient, il galopa ainsi pendant à peu près vingt minutes sans ralentir sa course.

Puis, lorsqu’il jugea qu’il s’était assez éloigné de la place où doña Rosario était cachée, il descendit, prêta l’oreille un instant, débarrassa les pieds des chevaux des peaux de mouton qui amortissaient le bruit de leurs pas, et repartit comme un trait.

Bientôt un galop de chevaux se fit entendre derrière lui ; ce galop d’abord éloigné se rapprocha peu à peu et finit par devenir parfaitement distinct.

Curumilla eut une lueur d’espoir, sa ruse avait réussi.

Il pressa encore la course de sa monture, et laissant ses lourds éperons de bois à angles acérés battre le long des flancs de l’animal toujours courant, il planta sa lance en terre, s’appuya sur elle, s’enleva à la force des poignets et retomba doucement sur le sol, tandis que les deux chevaux abandonnés à eux-mêmes continuaient leur course furieuse.

Curumilla se glissa dans les buissons et se mit en devoir de rejoindre doña Rosario, persuadé que les cavaliers, égarés sur la fausse piste qu’il leur avait jetée comme un appât, ne reconnaîtraient leur erreur que lorsqu’il serait trop tard.

L’Ulmen se trompait.

Antinahuel avait lancé ses mosotones dans toutes les directions, afin de découvrir les traces des fugitifs, mais lui était demeuré au village avec doña Maria.

Du reste, Antinahuel était un guerrier trop expérimenté pour qu’il fût possible de lui faire prendre ainsi le change.

Ses éclaireurs revinrent les uns après les autres.

Ils n’avaient rien découvert.

Les derniers qui revinrent ramenèrent avec eux deux chevaux trempés de sueur.

C’étaient les chevaux abandonnés par Curumilla.

— Nous échapperait-elle donc ? murmura la Linda en déchirant ses gants avec rage.

— Ma sœur, répondit froidement le toqui avec un sourire sinistre, lorsque je poursuis un ennemi jamais il ne m’échappe.

— Cependant ? dit-elle.

— Patience ! reprit-il, ils avaient une chance pour eux : c’était la grande avance que leurs chevaux leur donnaient sur moi ; grâce aux précautions que j’ai prises, cette chance, ils ne l’ont plus, je les ai contraints à quitter leurs chevaux qui seuls pouvaient les sauver. Ma sœur me comprend-elle ? ajouta-t-il, avant une heure ils seront entre nos mains.