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Les fugitifs galopaient sans articuler une parole, sans regarder en arrière, les yeux immuablement fixés sur la forêt, dont les premiers plans se rapprochaient incessamment, mais étaient pourtant bien éloignés encore.

Tout à coup le hennissement sonore d’un cheval traversa l’espace, comme un lugubre appel de clairon.

— Nous sommes perdus ! s’écria Curumilla avec désespoir, ils nous suivent !

— Que faire ? repartit doña Rosario avec anxiété.

Curumilla ne répondit pas, il réfléchissait.

Les chevaux couraient toujours.

— Attendez ! dit l’Ulmen.

Et il arrêta les deux chevaux.

La jeune fille le laissa agir à sa guise ; depuis quelques heures elle ne vivait plus que comme dans un songe, elle se croyait sous le poids d’un horrible cauchemar.

L’Indien lui fit mettre pied à terre.

— Ayez confiance en moi, lui dit-il, tout ce qu’un homme peut faire, je le tenterai pour vous sauver.

— Je le sais, répondit-elle affectueusement, quoi qu’il arrive, mon ami, je vous remercie.

Curumilla l’enleva dans ses bras et l’emporta avec autant de facilité que s’il ne se fût agi que d’un enfant.

— Pourquoi me portez-vous ainsi ? lui demanda-t-elle.

— Pas de traces, répondit Curumilla.

Il la déposa à terre avec précaution au pied d’un arbre dans lequel s’élevait un bouquet de cactus.

— Cet arbre est creux, ma sœur se cachera dedans, elle ne bougera pas jusqu’à mon retour.

— Vous m’abandonnez ? fit-elle avec effroi.

— Je vais faire une fausse piste, dit-il, bientôt je reviendrai.

La jeune fille hésita, elle avait peur.

Se trouver ainsi, seule, abandonnée dans le désert au milieu de la nuit ; cette alternative lui causait des frissons de terreur qu’elle ne pouvait réprimer.

Curumilla devina ce qui se passait dans son esprit.

— C’est notre seule chance de salut, dit-il tristement ; si ma sœur ne veut pas, je resterai, mais elle sera perdue, ce ne sera pas la faute de Curumilla.

La lutte exerce la volonté, fait circuler le sang plus vite ; doña Rosario n’était pas une de ces faibles et malingres jeunes filles de nos grandes villes européennes, plantes étiolées avant de fleurir ; élevée sur les frontières indiennes, la vie du désert n’avait rien de nouveau pour elle ; souvent, pendant des parties de chasse, elle s’était trouvée dans des positions à peu près semblables ; elle était douée d’une âme forte, d’un caractère énergique, elle comprit qu’elle devait aider autant que possible cet homme qui se dévouait pour elle, et ne pas lui rendre impossible sa tâche si difficile déjà.

Sa résolution fut prise avec la rapidité de l’éclair, elle se raidit contre la