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— C’est en lui seul que j’ai placé mon espoir, dit-elle tristement.

— À cheval et partons ! les minutes sont des siècles !

Ils se mirent en selle et lâchèrent la bride à leurs chevaux qui partirent avec une rapidité extrême, sans que le bruit de leurs pas résonnât sur la terre.

Curumilla avait enveloppé les pieds des chevaux avec des morceaux de peau de mouton.

La jeune fille ne put retenir un soupir de bonheur en se sentant libre, sous la protection d’un ami dévoué.

Les fugitifs couraient à fond de train dans une direction diamétralement opposée à celle qu’ils auraient dû suivre pour retourner à Valdivia.

La prudence exigeait qu’ils ne reprissent pas encore une route où, selon toutes les probabilités, on les chercherait d’abord.




II

DANS LE CABILDO


Après le départ de Valentin et de Trangoil Lanec, don Gregorio Peralta avait prodigué à son ami les soins les plus empressés.

Don Tadeo, nature essentiellement ferme, vaincue un instant par une émotion terrible, au-dessus de toutes les forces humaines, n’avait pas tardé à revenir à lui.

En rouvrant les yeux, il avait jeté un regard désespéré autour de lui ; alors le souvenir se faisant jour dans son cerveau, il avait laissé tomber avec accablement sa tête dans ses mains et s’était abandonné pendant quelques minutes à sa douleur.

Dès qu’il avait vu que ses soins n’étaient plus nécessaires, don Gregorio, avec ce tact inné chez toutes les organisations d’élite, avait compris que cette immense douleur avait besoin d’une solitude complète, et s’était retiré sans que son ami se fût aperçu de son départ.

On dit et on répète à satiété que les larmes soulagent, qu’elles font du bien ; ceci peut être vrai pour les femmes, natures nerveuses et impressionnables, dont la douleur s’échappe le plus souvent avec les larmes, et qui, lorsqu’elles sont taries, sont tout étonnées d’être consolées.

Mais si les larmes font du bien aux femmes, ce que nous admettons facilement, en revanche, nous certifions qu’elles font horriblement souffrir les hommes.

Les larmes, chez l’homme, sont l’expression de l’impuissance, de l’impossibilité contre laquelle la volonté la plus implacable se brise comme un brin de paille.

L’homme fort qui en est réduit à pleurer, s’avoue vaincu ; il succombe sous le poids du malheur ; la lutte lui devient impossible à soutenir plus