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Il ne s’amusa pas à les suivre, ce qui lui aurait fait perdre beaucoup de temps ; au contraire, il résolut de les couper et de les attendre dans un coude qu’il connaissait et où il lui serait facile de les compter et peut-être de sauver la jeune fille.

Cette résolution arrêtée, l’Ulmen prit sa course.

Il marcha plusieurs heures sans se reposer, l’œil et l’oreille au guet, sondant les ténèbres, écoutant patiemment les bruits du désert.

Ces bruits qui, pour nous autres blancs, sont lettre morte, ont pour les Indiens, habitués à les interroger, chacun une signification spéciale à laquelle ils ne se trompent jamais ; ils les analysent, les décomposent et apprennent souvent par ce moyen des choses que leurs ennemis ont le plus grand intérêt à leur cacher.

Tout inexplicable que ce fait paraisse au premier abord, il est simple.

Il n’existe pas de bruit sans cause au désert.

Le vol des oiseaux, la passée d’une bête fauve, le bruissement des feuilles, le roulement d’une pierre dans un ravin, l’ondulation des hautes herbes, le froissement des branches dans les halliers, sont pour l’Indien autant d’indices précieux.

À un certain endroit qu’il connaissait, Curumilla se coucha à plat ventre sur le sol, derrière un bloc de rochers, et se confondit immobile avec les herbes et les broussailles qui bordaient la route.

Il demeura ainsi plus d’une heure, sans faire le moindre mouvement.

Quiconque l’eût aperçu, l’eût pris pour un cadavre.

L’ouïe exercée de l’Indien, toujours en éveil, perçut enfin dans l’éloignement le bruit sourd du sabot des mules et des chevaux heurtant contre la pierre sèche et sonore. Ce bruit se rapprocha de plus en plus ; bientôt, à deux longueurs de lance du rocher derrière lequel il s’était mis en embuscade, l’Ulmen aperçut une vingtaine de cavaliers qui cheminaient lentement dans l’ombre.

Les ravisseurs, rassurés par leur nombre, et se croyant à l’abri de tout danger, marchaient avec la plus parfaite sécurité.

L’Indien leva doucement la tête, s’appuya sur les mains, les suivit avidement du regard, et attendit.

Ils passèrent sans le voir.

A quelques pas en arrière de la troupe, un cavalier venait seul, suivant nonchalamment le pas cadencé de son cheval. Sa tête tombait parfois sur sa poitrine et sa main ne retenait que faiblement les rênes.

Il était évident que cet homme sommeillait sur sa monture.

Une idée subite traversa comme un éclair le cerveau de Curumilla.

Se ramassant sur lui-même, il raidit ses jarrets de fer, et bondissant comme un tigre, il sauta en croupe du cavalier.

Avant que celui-ci, surpris par cette attaque imprévue, eût le temps de pousser un cri, il lui serra la gorge de façon à le mettre provisoirement dans l’impossibilité d’appeler à son aide.

En un clin d’œil, le cavalier fut bâillonné et jeté sur le sol ; puis, s’empa-