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— Passez au large ! dit le factionnaire.

— Hum ! murmura le jeune homme, il paraît qu’il n’est pas aussi facile d’entrer que je le croyais ; c’est égal, ajouta-t-il, essayons toujours. Mon ami, fit-il d’une voix insinuante à la sentinelle qui se tenait impassible devant lui, nous avons affaire au palais.

— Avez-vous le mot d’ordre ? demanda le soldat.

— Ma foi non ! répondit franchement Valentin.

— Alors vous n’entrerez pas.

— J’ai cependant bien besoin d’y entrer.

— C’est possible, mais comme vous n’avez pas le mot d’ordre, je vous conseille de passer votre chemin, car je vous jure que quand même vous seriez le diable en personne, je ne vous livrerais pas passage.

— Mon ami, répondit le Parisien d’un ton narquois, ce que vous dites là n’est pas logique ; si j’étais le diable je n’aurais pas besoin du mot d’ordre, et j’entrerais malgré vous.

— Prenez garde, Seigneurie, murmura l’arriero, ce soldat est capable de tirer sur vous.

— Pardieu ! j’y compte bien, dit Valentin en riant.

Le peon le regarda tout ébahi, il le crut fou.

Le factionnaire, ennuyé de cette longue conversation, croyant comprendre qu’il avait maille à partir avec de mauvais plaisants, épaula son fusil en criant d’une vois irritée :

— Pour la dernière fois, retirez-vous ou je fais feu.

— Je veux entrer, répondit résolument Valentin.

— Aux armes ! cria le soldat, et il lâcha son coup de fusil.

Valentin, qui suivait attentivement les mouvements du soldat, s’était vivement glissé à bas de son cheval, la balle siffla inoffensive à ses oreilles.

Au cri poussé par le factionnaire et au bruit de la détonation, plusieurs soldats armés et suivis d’un officier qui tenait un fanal allumé, s’étaient élancés en tumulte hors du palais.

— Que se passe-t-il donc ? demanda l’officier à voix haute.

— Eh ! s’écria Valentin, à qui cette voix n’était pas inconnue, est-ce vous, don Gregorio ?

— Qui m’appelle ? fit celui-ci, car c’était lui en effet.

— Moi ! don Valentin.

— Comment, c’est vous, cher ami, qui causez tout ce tapage ? reprit don Gregorio en s’approchant, j’ai cru à une attaque.

— Que voulez-vous ? dit en riant le jeune homme, je n’avais pas le mot d’ordre et je tenais à entrer.

— Il n’y a que des Français pour avoir des idées comme celle-là.

— N’est-ce pas qu’elle est originale ?

— Oui, mais vous risquiez d’être tué.

— Bah ! on risque toujours d’être tué, mais on ne l’est pas, dit insoucieusement Valentin. Je vous la recommande dans l’occasion.

— Bien obligé, mais je doute que je m’en serve jamais.

— Vous aurez tort.