Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’expliquer la cause de cette subite apparition qui, du reste, me comble de joie ?

— Oh ! la cause est bien simple, elle ne mérite certes pas la peine d’être mentionnée ; je n’espérais en aucune façon rencontrer ma sœur ici, je dois même lui avouer en toute humilité que je ne la cherchais pas.

— Ah ! fit doña Maria en feignant de prendre le change, je suis doublement heureuse, alors.

Le chef s’inclina.

— Voici le fait, dit-il.

— Bon, pensa-t-elle, il va mentir ; voyons quelle fourberie inventera ce démon. Alors elle ajouta à haute voix avec un séduisant sourire qui découvrit trente-deux dents mignonnes de l’émail le plus pur : Je suis tout oreilles, mon frère peut parler.

— Comme le sait ma sœur, ce village se trouve sur la route qui conduit à ma tolderia, j’ai dû tout naturellement le traverser en retournant dans ma tribu ; la nuit est avancée, mes mosotones ont besoin de quelques heures de repos, j’ai résolu de camper ici, je suis entré dans le premier rancho qui s’est offert à ma vue, ce rancho est celui que provisoirement vous habitez, j’en remercie le hasard qui, ainsi que je vous l’ai dit, a tout fait et est seul coupable.

— Pas mal pour un Indien, murmura la Linda ; allons, ne nous occupons plus de cela.

— Eh ! fit Antinahuel en feignant pour la première fois d’apercevoir doña Rosario et en s’avançant vers elle, quelle est cette charmante jeune femme ?

— Une esclave à laquelle vous ne devez pas songer, répondit-elle durement.

— Une esclave ! s’écria Antinahuel.

— Oui.

La Linda frappa dans ses mains.

L’Indien avec lequel nous l’avons déjà vue causer entra aussitôt.

— Emmenez cette femme, lui dit-elle.

— Oh ! madame, supplia doña Rosario en tombant à ses genoux, serez-vous inexorable pour une malheureuse qui jamais ne vous a fait de mal ?

La Linda la couvrit d’un regard de flamme, et la repoussant froidement du pied :

— J’ai ordonné d’emmener cette fille, reprit-elle d’une voix sèche.

À cette sanglante insulte, le sang afflua avec force au cœur de la pauvre enfant : son front si pâle se couvrit d’une rougeur fébrile, et, se redressant majestueuse et fière :

— Madame, dit-elle d’une voix vibrante, dont l’accent prophétique frappa la Linda au cœur, prenez garde. Dieu vous punira ! Ainsi que vous êtes aujourd’hui sans pitié pour moi, un jour viendra où l’on sera pour vous sans pitié !

Et elle sortit la tête haute, après avoir lancé à son implacable ennemie un regard qui la foudroya.

Antinahuel et la Linda restèrent seuls.

Il y eut un long et funèbre silence.

Les dernières paroles de doña Rosario avaient blessé la Linda comme un