Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les mosotones s’ébranlèrent à sa suite.

Cette troupe de sombres cavaliers glissa dans les ténèbres comme une légion de lugubres fantômes.

Devant eux courait le guide.

Qui peut exprimer cette poésie terrible d’une course de nuit dans les déserts américains ?

Le vent de minuit avait nettoyé le ciel, dont la voûte, d’un bleu sombre, apparaissait splendidement semée comme un manteau de roi d’un nombre indéfini d’étoiles.

La nuit avait cette transparence veloutée particulière à ces chaudes régions.

Par instants, un souffle de vent, chargé de rumeurs incertaines, arrivait en faisant tourbillonner les feuilles sèches dans l’espace et se perdait au loin comme un soupir.

Les Araucans, penchés sur le cou de leurs chevaux, dont les naseaux exhalaient des nuages épais de fumée, couraient, couraient toujours, sans regarder autour d’eux.

Et pourtant le désert qu’ils traversaient, rapides et silencieux, jetait à flots dans l’espace ses splendides harmonies.

C’était le murmure de l’eau parmi les lianes et les glaïeuls, les râles du vent parmi le feuillage, ou la rumeur confuse de mille insectes invisibles ; parfois, des lueurs filtrant à travers le feuillage dansaient sur l’herbe à la manière des feux follets ; de loin eu loin de vieux arbres se dressaient aux angles des ravins ou sur les bords des précipices — quebradas — comme des spectres, en agitant leurs linceuls de lianes ; mille rumeurs volaient dans l’air, des cris sans nom sortaient des tanières creusées sous les racines, des soupirs étouffés descendaient du haut des cimes chenues des montagnes ; on sentait vivre autour de soi un monde inconnu et mystérieux.

Partout, sur la terre, dans l’air, on entendait le bruit du grand flot de la vie, qui vient de Dieu, passe et se renouvelle sans cesse !

Les Araucans continuaient toujours leur course furieuse, franchissant torrents et ravins, écrasant sous le sabot de leurs coursiers rapides les cailloux qui roulaient avec fracas dans les barrancas.

À deux longueurs de lance, en avant, aux côtés de l’éclaireur, Antinahuel, les yeux ardemment fixés devant soi, pressait incessamment son cheval, haletant, dont les sourds râlements trahissaient la fatigue.

Tout à coup une masse sombre surgit à quelque distance, puis un bruit de voix se fit entendre.

— Nous sommes arrivés, dit le guide.

— C’est bien, dit Antinahuel en arrêtant son cheval, qui manqua des quatre pieds.

Ils se trouvaient dans un misérable village, composé de cinq ou six huttes qui tombaient en ruines, et qui, à chaque rafale de vent, menaçaient de s’écrouler.

Antinahuel, qui s’attendait à la chute de son cheval, se dégagea vivement et s’adressant au guide, qui, lui aussi, avait mis pied à terre :