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— Antinahuel sait tout, répondit-il avec un feint sourire.

— Bon, je sais ce que pense mon père.

— Peut-être.

— Que mon père se souvienne des paroles que j’ai prononcées.

— Mes oreilles sont ouvertes, que mon fils me les redise.

— Quand les cougouars se déchirent entre eux, ils préparent une riche curée aux aigles des Andes.

— Bon, fit Antinahuel en riant ; mon fils est un grand chef, qu’il me suive à l’Aucacoyog, les guerriers nous attendent.

Les deux Araucans échangèrent un regard d’une expression indéfinissable.

Ces deux hommes, si fins et si dissimulés, s’étaient compris sans se rien avouer l’un à l’autre.

Ils se dirigèrent au galop vers l’endroit où les principaux chefs les attendaient, rangés en cercle autour d’un brasier dont la fumée montait en tournoyant vers le ciel.




XLI

DIPLOMATIE ARAUCANIENNE


Les Araucans, que certains voyageurs mal renseignés, ou de mauvaise foi, s’obstinent à représenter comme des hommes sauvages plongés dans la plus effroyable barbarie, sont, au contraire, un peuple relativement très civilisé.

Leur gouvernement, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et qui, à l’époque de la conquête espagnole, était aussi bien organisé et fonctionnait aussi facilement qu’aujourd’hui, est, ainsi que nous l’avons dit dans un précédent chapitre, une république aristocratique aux allures essentiellement féodales.

Ce gouvernement, qui affecte toutes les apparences du système féodal, en a toutes les qualités et tous les défauts.

Ainsi, excepté en temps de guerre, les toquis n’ont que l’ombre de la souveraineté ; la puissance réside dans le corps tout entier des chefs, qui, sur les questions d’importance, décident dans une diète générale nommée Butacoyog ou Auca-coyog, grand conseil ou conseil des hommes libres, car tel est le nom qu’ils affectent de se donner entre eux, nom fort juste, puisque nul n’a jamais pu les soumettre.

Ces conseils se tiennent ordinairement aux yeux de tous dans une vaste prairie.

Antinahuel avait saisi avec empressement le prétexte du renouvellement des traités pour chercher à obtenir des chefs l’autorisation de mettre à exécution les projets que depuis si longtemps il mûrissait dans sa pensée.

Le code araucan, le Admapu, qui résume toutes les lois de la nation, lui