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épaisse et dont la robe était souillée de flots d’une écume blanche, montraient qu’il avait fait une longue course à fond de train.

Antinahuel le considéra un instant.

— Mon fils Theg-teg — le Foudroyant — a fait un voyage rapide ?

— J’ai exécuté les ordres de mon père, répondit l’Indien.

À ces paroles, par discrétion, l’Apo-Ulmen pressa les flancs de son cheval pour se retirer.

Antinahuel lui posa la main sur le bras.

— Le Cerf Noir peut rester, dit-il, n’est-il pas mon penni ?

— Je resterai si mon père le désire, répondit doucement le chef.

— Qu’il demeure donc ; mon père n’a pas de voiles pour lui, et, se tournant vers le guerrier toujours immobile : Que mon fils parle, continua-t-il.

— Les Chiaplos — Espagnols — se battent, répondit celui-ci, ils ont déterré la hache et l’ont tournée contre leur propre poitrine.

— Aymi ! — Oh ! — s’écria le toqui avec un feint étonnement, mon fils se trompe, les visages pâles ne sont pas des cougouars pour s’entre-dévorer entre eux, et il se tourna vers le Cerf Noir avec un sourire d’une expression indéfinissable.

— Theg-teg ne se trompe pas, répondit gravement le guerrier indien, ses yeux ont bien vu : la tolderia en pierres, que les visages pâles nomment Valdivia, est en ce moment un brasier plus ardent que le volcan d’Autaco qui sert de retraite à Guécubu, le génie du mal.

— Bon, reprit froidement le toqui, mon fils a bien vu, c’est un guerrier très brave dans la bataille, mais il est prudent aussi, il sera resté à l’écart pour se réjouir sans chercher à savoir qui avait le dessus ?

— Theg-teg est prudent, mais quand il regarde il veut bien voir, il sait tout, mon père peut l’interroger.

— Bon, le grand guerrier des visages pâles est parti d’ici pour voler au secours de ses soldats, l’avantage lui est resté.

L’Indien sourit sans répondre.

— Que mon frère parle, reprit Antinahuel, le toqui de sa nation l’interroge.

— Celui que mon père nomme le grand guerrier des visages pâles est prisonnier de ses ennemis, ses soldats sont dispersés comme les grains de blé semés dans la plaine.

— Aymi ! s’écria Antinahuel avec une feinte colère, mon fils a la langue menteuse, ce qu’il dit ne peut être ; l’aigle devient-il la proie du hibou ? le grand guerrier a le bras fort comme la foudre de Pillian, rien ne lui résiste.

— Ce bras si puissant n’a pu le sauver, l’aigle est captif ; le puma courageux a été surpris par des renards rusés, il est tombé, traîtreusement vaincu, dans le piège qu’ils avaient tendu sous ses pas.

— Mais ses soldats ? le grand toqui des blancs avait une armée nombreuse.

— Je l’ai dit à mon père : le chef captif, les soldats éperdus et frappés d’épouvante par Guécubu, ont succombé sous les coups de leurs ennemis irrités.

— Les chefs, vainqueurs, les poursuivirent sans doute.