Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne nous demandez pas grâce, c’est nous qui venons vous offrir de mettre bas les armes et de cesser ce combat fratricide, repartit noblement don Tadeo.

— Qui êtes-vous donc, monsieur ? fit le général frappé de l’accent de l’homme qui lui parlait.

— Je suis don Tadeo de Leon, que votre chef a fait fusiller.

— Vous ! s’écria le général, vous ici ?

— Moi-même, j’ai un autre nom encore.

— J’attends que vous me le disiez, monsieur.

— On m’appelle le Roi des ténèbres.

— Le chef des Cœurs Sombres, murmura le général en tressaillant malgré lui, et le regardant avec une curiosité inquiète.

— Oui, général, je suis le chef des Cœurs Sombres, mais je suis encore autre chose.

— Expliquez-vous, monsieur, demanda le général qui commençait à ne plus savoir quelle contenance tenir devant l’étrange personnage qui lui parlait.

— Je suis le chef de ceux que vous nommez des révoltés, et qui n’ont en réalité pris les armes que pour défendre les institutions que vous renversez, et la Constitution que vous avez indignement violée.

— Monsieur ! fit le général, vos paroles…

— Sont sévères, mais justes, continua don Tadeo, interrogez votre loyal cœur de soldat, général, puis répondez, dites-moi de quel côté est le droit ?

— Je ne suis pas un avocat, monsieur, répondit don Tiburcio avec impatience, vous l’avez dit vous-même, je suis un soldat, et comme tel je me borne à obéir sans discuter aux ordres que je reçois de mes chefs.

— Ne perdons pas notre temps en vaines paroles, monsieur ; voulez-vous, oui ou non, mettre bas les armes ?

— De quel droit me faites-vous cette proposition ? fit le général dont l’orgueil se révoltait d’être obligé de parlementer avec un bourgeois.

— Je pourrais vous répondre, riposta sèchement don Tadeo, que c’est du droit du plus fort ; que vous savez aussi bien que moi, que vous combattez pour une cause perdue et que vous continuez sans profit une lutte insensée ; mais, ajouta-t-il avec mélancolie, je préfère m’adresser à votre cœur et vous dire : pourquoi s’égorger ainsi entre compatriotes, entre frères, pourquoi verser plus longtemps un sang précieux ? Faites vos conditions, général, et croyez bien que pour sauvegarder votre honneur de soldat, cet honneur qui est le nôtre aussi, puisque, dans ces troupes contre lesquelles nous combattons, se trouvent nos parents et nos amis, nous vous les accorderons aussi larges que vous les désirerez.

Le général se sentit ému, ce noble langage avait trouvé de l’écho dans son cœur ; il courba le front vers la terre et réfléchit quelques minutes, enfin il releva la tête :

— Monsieur, répondit-il, croyez bien qu’il m’en coûte de ne pas répondre comme je le voudrais à ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire, mais j’ai un chef au-dessus de moi.

— À votre tour, expliquez-vous, monsieur ! fit don Tadeo.