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avant et en arrière, et se ruèrent avec rage sur la double barrière qui les enfermait.

Mais en vain, ils se heurtèrent contre elle, ils ne purent la rompre.

Ils comprirent alors qu’ils étaient perdus, qu’ils n’avaient pas de quartier à attendre, et ils se préparèrent à mourir en gens de cœur.

Le général jetait des regards farouches et désespérés autour de lui, cherchant, mais sans succès, une issue au milieu de cette forêt menaçante de baïonnettes croisées contre lui, qui l’enserrait comme dans un réseau de fer.

Quelques auteurs se sont divisés souvent aux dépens des guerres et des batailles américaines où, disent-ils, les deux armées ont toujours le soin de se placer hors de portée de canon, si bien qu’elles n’ont jamais un homme tué.

Cette plaisanterie de fort mauvais goût a pris aujourd’hui les proportions d’une calomnie qu’il est bon de réfuter, car elle attaque l’honneur des Américains du Sud qui, nous le proclamons hautement, sont doués d’un courage qui s’est brillamment montré pendant les guerres de l’indépendance contre les Espagnols. Malheureusement aujourd’hui ce courage s’use dans des luttes sans convictions.

Trois fois les soldats se précipitèrent sur les insurgés, trois fois ils furent repoussés avec une perte énorme.

La bataille était horrible, sans merci ; on combattait à l’arme blanche, pied contre pied, poitrine contre poitrine, jusqu’au dernier souffle, ne tombant que mort.

Les troupes, décimées par cet affreux carnage, perdaient peu à peu du terrain ; l’espace qu’elles occupaient se resserrait de plus en plus, et l’instant n’était pas loin où elles allaient disparaître sous le flot populaire qui montait toujours et menaçait de les engloutir sous sa masse irrésistible.

Le général réunit une cinquantaine d’hommes résolus à mourir ou à s’ouvrir un passage, et il tenta un effort suprême.

Ce fut un choc de géants.

Pendant quelques minutes, les deux masses lancées l’une contre l’autre demeurèrent presque immobiles par la force même de leur élan ; don Pancho faisait tournoyer son épée autour de lui, et, levé sur ses étriers, il abattait tout ce qui s’opposait à son passage.

Soudain un homme se dressa devant lui comme un roc qui surgit du fond de la mer.

À sa vue, le général recula malgré lui en étouffant un cri de surprise et de rage.

Cet homme était don Tadeo de Leon.

Son ennemi mortel !

Celui que déjà il avait condamné à mort et qui avait, d’une façon incompréhensible, survécu à son exécution.

Aujourd’hui Dieu semblait le placer fatalement devant lui pour être l’instrument de sa vengeance et la cause de sa ruine et de sa honte !