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son cœur s’est amolli pour elle, que peut-être il se laisserait attendrir par ses prières, qu’il la rendrait à sa famille, et je ne veux pas que cela arrive, moi ; il faut qu’elle pleure des larmes de sang, que son cœur se brise sous l’effort incessant de la douleur, qu’elle perde tout, enfin, même l’espérance !

En prononçant ces dernières paroles, doña Maria s’était levée, la tête haute, l’œil étincelant, le bras étendu ; il y avait dans son aspect quelque chose de fatal et de terrible qui effraya l’Indien lui-même, si difficile à émouvoir.

— Allez ! ajouta-t-elle d’un ton de commandement, avant qu’elle parte pour toujours, je veux voir cette femme une fois, une seule, et l’entretenir quelques instants ; il faut au moins qu’elle me connaisse, amenez-la moi.

L’Indien sortit sans répliquer ; cette femme si belle et si cruelle l’épouvantait, elle lui faisait horreur.

Doña Rosario, à cette atroce sentence prononcée froidement contre elle, était tombée à demi-évanouie sur le sol.




XXXIV

FACE À FACE


La porte du cuarto dans lequel doña Rosario était enfermée s’ouvrit brusquement et le guerrier puelche parut à l’entrée ; il tenait à la main une grossière lampe en terre, dont la flamme, bien que très faible, permettait de distinguer les objets.

Cet homme avait remis sur sa tête le sordide chapeau, dont les larges bords servaient à dissimuler ses traits.

— Venez, dit-il d’un ton bourru à la jeune fille.

Celle-ci, reconnaissant l’inutilité d’une résistance qui ne pouvait qu’être dangereuse pour elle au milieu des bandits qui l’entouraient, courba la tête avec résignation et suivit silencieusement son guide.

Doña Maria avait repris sa place sur le fauteuil ; les bras croisés et la tête baissée sur sa poitrine, elle était plongée dans une sombre méditation.

Au bruit léger des pas de la jeune fille, elle se redressa, un éclair de haine jaillit de sa prunelle fauve, et, d’un geste, elle commanda à l’Indien de se retirer.

Le Puelche se retira.

Les deux femmes s’examinaient avidement ; leurs regards se croisaient.

Le milan et la colombe étaient en présence.

Un silence de mort régnait dans la salle ; par intervalles, le vent s’engouffrait avec de lugubres murmures à travers les ais mal joints des portes, agitait la vieille masure jusque dans ses fondements, et faisait vaciller