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— Joan ma envoyé à sa place.

— Et de quel droit, fit la Linda, avec un ton hautain, ce drôle se permet-il de confier à d’autres le soin d’accomplir les ordres que je lui donne ?

— Joan est mon ami, repartit l’homme.

— Que m’importe, à moi, reprit-elle avec un sourire de mépris, les liens qui vous unissent ?

— La mission dont vous l’aviez chargé a été accomplie.

— L’a-t-elle été fidèlement ?

— La femme est là ; dit-il en désignant du doigt la chambre où se trouvait doña Rosario ; pendant la route elle n’a causé avec personne et je puis certifier qu’elle ignore en quel lieu on l’a conduite.

À cette assurance, l’œil de doña Maria se radoucit un peu, et ce fut d’une voix moins brève et moins hautaine qu’elle répondit :

— Mais pourquoi Joan vous a-t-il cédé sa place ?

— Oh ! fit l’homme avec une feinte bonhomie que démentait son œil rusé, par une raison bien simple ; Joan est en ce moment attiré vers la plaine par les deux yeux noirs de la femme d’un visage pâle, qui brillent comme des lucioles dans la nuit ; le toldo de cette femme est bâti dans la campagne, aux environs de la tolderia que vous nommez, je crois, Concepcion ; bien que telle conduite soit indigne d’un guerrier, son cœur vole sans cesse vers cette femme, malgré lui, et tant qu’il ne sera pas parvenu à s’en emparer, il ne rentrera pas dans son bon sens.

— Eh bien ! alors, interrompit la Linda en frappant du pied avec dépit, pourquoi ne l’enlève-t-il pas, l’imbécile ?

— Je le lui ai proposé.

— Qu’a-t-il dit ?

— Il a refusé.

Doña Maria haussa les épaules, tandis qu’un sourire de dédain plissait le coin de ses lèvres.

— Mais, fit-elle, tout cela ne me dit pas qui vous êtes, vous ?

— Moi, je suis un Ulmen dans ma tribu, un grand guerrier parmi les Puelches, répondit-il avec orgueil.

— Ah ! dit-elle avec satisfaction, vous êtes un Ulmen des Puelches, bon ! puis-je compter sur votre fidélité ?

— Je suis l’ami de Joan, répliqua-t-il simplement, en s’inclinant avec respect.

— Connaissez-vous cette femme que vous avez amenée ? lui demanda-t-elle en lui lançant un regard de défiance.

— Comment la connaîtrais-je ?

— Êtes-vous prêt à m’obéir en tout ?

— Mon obéissance dépendra de ma sœur ; qu’elle parle, je répondrai.

— Cette femme est mon ennemie, dit la Linda.

— Faut-il qu’elle meure ? répondit-il rudement, sans baisser les yeux devant ceux inquisiteurs de la Linda.

— Eh non, s’écria-t-elle vivement, ces Indiens sont des brutes, ils n’enten-