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Son incertitude ne fut pas de longue durée cette fois : au bout de dix minutes au plus la mule s’arrêta de nouveau.

L’homme qui la conduisait s’approcha de doña Rosario.

Cet homme, revêtu du costume des huasos, — campagnards chiliens, — avait sur la tête un vieux chapeau de paille de Panama, dont les larges ailes rabattues sur son visage empêchaient de distinguer ses traits.

À l’aspect de cet individu, la jeune fille éprouva malgré elle un frisson de terreur.

Le paysan, ou soi-disant tel, sans lui adresser une parole, retira la couverture qui la couvrait, dénoua la corde qui lui ceignait la ceinture, et, la prenant dans ses bras avec autant de facilité que si c’eût été un enfant, il la porta toute frémissante de peur dans une cabane qui s’élevait solitaire à quelques pas, et dont la porte toute grande ouverte semblait les inviter à entrer.

L’intérieur de cette cabane était obscur.

La jeune fille fut déposée sur le sol avec une précaution et un soin auxquels elle était loin de s’attendre.

Au moment où cet homme la laissait glisser sur la terre, il pencha la tête vers elle, et, d’une voix faible comme un souffle, il glissa ces mots à son oreille :

— Courage et espoir !

Et se relevant vivement, il sortit en toute hâte de la cabane, dont il referma la porte derrière lui.

Dès qu’elle fut seule, doña Rosario se redressa ; d’un bond elle se trouva debout.

Les deux mots que lui avait jetés l’inconnu avaient suffi pour lui rendre sa présence d’esprit et lui ôter toutes ses terreurs.

L’espoir, cette panacée universelle, ce bien suprême que Dieu, dans son inépuisable miséricorde, a donné aux malheureux pour les aider à souffrir, était subitement rentré dans son cœur ; alors elle redevint forte et prête à engager la lutte contre ses ennemis inconnus.

Elle savait à présent qu’un ami veillait dans l’ombre sur elle, que, le cas échéant, son appui ne lui manquerait pas ; aussi, ce fut non avec crainte, mais presque avec impatience, qu’elle attendit que ses ravisseurs lui signifiassent leurs volontés.

Le lieu où elle était enfermée était plongé dans une obscurité complète. Dans les premiers moments ce fut en vain qu’elle essaya de distinguer quelque chose dans ce chaos ; mais peu à peu ses yeux s’accoutumèrent aux ténèbres, et, en face d’elle, elle aperçut une faible lueur qui filtrait entre les ais mal joints d’une porte.

Alors, avec précaution, pour ne pas éveiller l’attention des gardiens invisibles qui peut-être la surveillaient, elle tendit les bras en avant pour éviter de se choquer contre quelque obstacle qu’elle ne pouvait voir, et s’avança à pas de loup, en prêtant l’oreille au moindre bruit, du côté où brillait cette lueur, lumière qui l’attirait instinctivement comme la flamme attire les papillons imprudents dont elle brûle les ailes.

Plus elle approchait, plus cette lueur devenait distincte ; un bruit de voix arrivait jusqu’à elle.