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ne redoutant rien au monde pour arriver à l’accomplissement de ses projets. Il avait espéré, grâce aux forces qu’il avait concentrées dans cette province reculée de la République, que les habitants pris à l’improviste ne feraient qu’une résistance insignifiante, et qu’il pourrait joindre ses troupes à celles d’Antinahuel, traverser au pas de course l’Araucanie, s’emparer de la province de Concepcion, et de là, en faisant la boule de neige et en entraînant ses compagnons à sa suite, arriver à Santiago assez à temps pour prévenir tout mouvement et obliger les habitants à accepter, comme un fait accompli, le changement de gouvernement inauguré par les provinces éloignées de la République.

Ce plan ne manquait ni d’audace, ni même d’une certaine habileté, il offrait de grandes chances de succès ; malheureusement pour le général Bustamente, les Cœurs Sombres, dont les espions se trouvaient partout, avaient éventé ce projet et l’avaient contre-miné, en profitant de l’occasion que leur ennemi leur offrait de démasquer leurs batteries.

Nous avons vu dans quelles conditions la lutte s’était engagée à Valdivia entre les deux partis.

Le général, qui ignorait encore ce qui s’était passé, était dans une sécurité complète.

Une fois seul dans sa tente avec Antinahuel, il laissa retomber derrière lui le rideau qui la fermait, et invita d’un geste le toqui à prendre un siège.

— Asseyez-vous, chef, lui dit-il, ; nous avons à causer.

— Je suis aux ordres de mon père blanc, répondit l’Indien en s’inclinant.

Le général examinait attentivement cet homme qui était devant lui ; il cherchait à démêler sur son visage les divers sentiments qui l’agitaient ; mais les traits du chef semblaient de marbre, aucune impression ne venait s’y réfléchir.

— Parlons franchement et loyalement, en amis qui ne demandent pas mieux que de s’entendre, dit-il.

Antinahuel s’inclina avec réserve, à cet appel à la franchise.

Le général poursuivit :

— En ce moment, le peuple de Valdivia m’acclame protecteur d’une Confédération nouvelle formée entre tous les États.

— Bon ! fit le chef en hochant la tête d’un air de douceur, mon père en est sûr ?

— Certes, les Chiliens sont fatigués des continuelles agitations qui troublent le pays ; ils m’ont obligé à me charger d’un lourd fardeau ; mais je me dois à mon pays et je ne tromperai pas l’espoir que mes compatriotes placent en moi.

Ces paroles furent prononcées d’un ton d’hypocrite abnégation, dont l’Indien ne fut nullement dupe.

Un sourire plissa une seconde les lèvres du chef ; le général ne parut pas s’en apercevoir.

— Bref, continua-t-il en quittant le ton doux et conciliant qu’il avait eu jusqu’alors, pour prendre une voix brève et sèche, êtes-vous prêt à tenir vos engagements ?