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— Vive la liberté ! vive le Chili ! s’écrièrent avec élan tous les hommes du peuple réunis sur la place.

— Oh ! c’est trop d’audace, s’écria le général blême de fureur ; soldats, arrêtez ce rebelle.

Des soldats se précipitèrent ; mais plus prompts que la pensée, don Gregorio et Valentin s’étaient élancés vers lui, et l’avaient entraîné avec eux au milieu du groupe.

— Cordieu ! s’écria Valentin en lui serrant les mains à les lui briser, vous êtes un rude homme, vous ! je vous aime !

Cependant le général, outré de colère en voyant son ennemi lui échapper commanda le silence.

— Au nom du Protecteur, livrez immédiatement ce rebelle.

Des sifflets et des huées seuls lui répondirent.

— Feu ! commanda le général qui, devant cette manifestation injurieuse, comprit qu’il n’y avait plus aucune mesure à garder.

Les fusils s’abaissèrent et une décharge formidable éclata comme un coup de tonnerre.

Plusieurs hommes tombèrent tués ou blessés.

— Vive le Chili ! vive la liberté ! à bas l’oppresseur ! cria le peuple en s’armant de tout ce qu’il trouvait sous la main.

Une seconde décharge éclata, suivie presque aussitôt d’une troisième.

Le sol fut en un instant jonché de morts et de mourants.

Les patriotes ne firent pas un mouvement pour se disperser ; au contraire, sous le feu incessant des soldats, ils organisèrent la résistance et bientôt répondirent par quelques coups de fusil aux feux de pelotons incessants qui les décimaient.

Désormais la lutte était engagée ; la révolution commençait.

— Hum ! murmura tristement le général, je me suis chargé d’une bien mauvaise mission.

Mais soldat avant tout et doué au plus haut degré de cette obéissance passive qui distingue ceux qui ont vieilli sous le harnais, il se prépara à châtier sévèrement les insurgés ou à mourir bravement à son poste.




XXXI

ESPAGNOL ET INDIEN


Ce n’était pas, comme on pourrait le croire, par crainte que le général Bustamente s’était absenté de Valdivia au moment où un de ses lieutenants le proclamait si audacieusement du haut des marches du cabildo, devant la foule atterrée ; le général Bustamente était un de ces soldats d’aventure que l’on rencontre tant en Amérique, habitué à jouer sa vie pour un coup de dé et