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ordinairement dans une grande plaine située sur le territoire araucanien à vingt kilomètres au plus de Valdivia.

Par une coïncidence bizarre, le prétexte choisi par le général servait on ne peut mieux les intérêts des trois factions qui se partageaient à cette époque ce malheureux pays.

Les Cœurs Sombres en avaient habilement profité pour préparer la résistance qu’ils méditaient, et Antinahuel, feignant de vouloir rendre au ministre de la Guerre du président de la République chilienne de plus grands honneurs, avait massé aux environs du lieu choisi pour la solennité une véritable armée de guerriers d’élite.

Voilà en quel état se trouvaient les choses et quelle était la position des différents partis à l’égard les uns des autres, au moment où nous reprenons notre récit, c’est-à-dire le lendemain du jour où s’étaient passés les faits que nous avons rapportés dans notre précédent chapitre.

Les ennemis allaient donc se trouver en présence ; il était évident que chacun, s’étant préparé de longue main, chercherait à profiter de l’occasion et qu’un choc était imminent ; comment aurait-il lieu ? qui mettrait le feu à la mine et ferait éclater ces colères et ces ambitions depuis si longtemps contenues ? c’est ce que personne ne savait !

La plaine où devait avoir lieu la cérémonie était vaste, couverte de hautes herbes, encadrée par des montagnes garnies de forêts et de grands arbres.

Cette plaine, entrecoupée de bois, de pommiers surchargés de fruits, était séparée en deux par une capricieuse rivière qui s’y promenait lentement en balançant sur ses eaux argentées de nombreuses troupes de cygnes à têtes noires ; çà et là dans les éclaircies des halliers, on voyait apparaître le museau pointu d’une vigogne qui, l’oreille droite et l’œil effaré, semblait humer l’air, et tout à coup disparaissait au loin en bondissant.

Le soleil se levait majestueusement à l’horizon lorsqu’un bruit cadencé de sonnettes résonna dans un bois de pommiers et une recua, — troupe, — d’une dizaine de mules, guidée par la yegua madrina, — jument mère, — et conduite par un arriero, déboucha dans la plaine.

Ces mules portaient divers objets de campement, des vivres et quelques ballots d’habits et de linge.

À une vingtaine de pas derrière les mules, venait un groupe assez nombreux de cavaliers.

Arrivé sur le bord de la petite rivière dont nous avons parlé, l’arriero arrêta ses mules, et les cavaliers mirent pied à terre.

En un instant les ballots furent déchargés, rangés avec soin, de façon à former un cercle parfait au milieu duquel on alluma du feu.

Puis, au centre de ce camp improvisé on dressa une tente en coutil, et les chevaux et les mules furent entravés.

Ces cavaliers, que sans doute nos lecteurs ont déjà reconnus, étaient don Tadeo, son ami, les Français, les Ulmènes indiens, dona Rosario et trois domestiques.

Par une coïncidence étrange, en même temps qu’ils dressaient leur camp,