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fois cherché à vendre vos frères, c’est vous qui avez causé la mort des dix patriotes fusillés sur la place de Santiago, c’est vous qui avez livré aux soldats de Bustamente le secret de la Quinta Verde ; aujourd’hui même, il y a deux heures à peine, vous avez eu avec le général une longue conversation, dans laquelle vous vous êtes engagé à lui livrer demain les principaux chef des Cœurs Sombres : est-ce vrai ?

Le misérable ne trouva pas un mot pour sa défense ; confondu, accablé par les preuves irrécusables accumulées contre lui, il baissa la tête avec abattement.

— Est-ce vrai ? reprit don Tadeo.

— C’est vrai, murmura-t-il d’une voix faible.

— Vous vous reconnaissez coupable ?

— Oui, fit-il avec un sanglot déchirant, mais laissez-moi la vie, mon noble seigneur, et je vous jure.

Silence…

L’espion se tut atterré.

— Vous avez entendu, compagnons, cet homme avoue lui-même ses crimes ; pour la dernière fois, quel châtiment mérite-t-il pour avoir vendu ses frères ?

— La mort, répondirent sans hésiter les Cœurs Sombres.

— Au nom des Cœurs Sombres dont je suis le Roi, vous, don Pedro Saldillo, je vous condamne à mort pour trahison et félonie envers vos frères. Vous avez cinq minutes pour recommander votre âme à Dieu, dit don Tadeo d’une voix dure.

Il posa sa montre sur la table, et tira de sa ceinture un pistolet qu’il arma froidement.

Le bruit sec de l’échappement de la détente causa un frisson de terreur au condamné.

Un silence suprême régnait dans la salle.

On aurait pu entendre battre dans leur poitrine le cœur de tous ces hommes implacables.

L’espion jetait autour de lui des regards effarés qui ne rencontraient que des masques grimaçants qui fixaient sur lui des yeux ardents.

Au-dessus de la salle, dans la chingana, on dansait, et des bouffées affaiblies de sambacuejas arrivaient par intervalles, mêlées à de joyeux éclats de rire, jusqu’à l’endroit où ces hommes étaient réunis.

Le contraste de cette joie délirante avec cette justice terrible avait quelque chose d’épouvantable.

— Les cinq minutes sont écoulées, dit don Tadeo d’une voix ferme.

— Encore quelques instants, monseigneur, implora le misérable en se tordant les mains avec désespoir, je ne suis pas préparé, vous ne pouvez pas me tuer ainsi ; au nom de ce que vous avez de plus cher, laissez-moi vivre.

Sans l’écouter don Tadeo dirigea vers lui le canon de son pistolet, et le misérable roula le crâne horriblement fracassé.

— Oh ! s’écria-t-il en tombant, soyez maudits, assassins !

Il expira.