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— Ma foi, répondit-il, je ne saurais trop te l’expliquer, mais ce que tu m’as dit de l’impression que cet homme te causait, a produit sur moi un certain effet : il ne m’inspire aucune confiance, je ne me soucie nullement de pénétrer des secrets que peut-être plus tard il voudrait me reprendre.

— Oui, tu as eu raison, qui sait si un jour nous ne nous féliciterons pas de cette circonspection ?

— Chut ! j’entends des pas.

Le chef rentra.

— Je connais le contenu de la lettre, dit-il ; si mes frères voient celui qui les en avait chargés, ils l’informeront que je pars aujourd’hui même pour Valdivia.

— Nous nous chargerions avec plaisir de cette mission, répondit Valentin, mais nous ne connaissons pas la personne qui nous a remis cette lettre, et il est probable que nous ne la reverrons jamais.

Le chef leur lança à la dérobée un coup d’œil soupçonneux.

— Bon ! mes frères restent ici ?

— Ce serait avec infiniment de plaisir que nous passerions quelques heures dans l’agréable société du chef, mais le temps nous presse ; s’il nous le permet, nous prendrons immédiatement congé de lui.

— Mes frères sont libres ; mon toldo est ouvert pour entrer comme pour sortir.

Les jeunes gens se levèrent.

— De quel côté vont mes frères ?

— Nous nous rendons à Conception.

— Que mes frères aillent en paix ; s’ils s’étaient dirigés vers Valdivia, je leur aurais offert de faire route avec eux.

— Mille remerciements de votre offre gracieuse, chef, malheureusement nous ne pouvons en profiter, car notre chemin est complètement opposé.

Les trois hommes échangèrent encore quelques mots de courtoisie, puis ils sortirent du toldo.

Les chevaux, des Français avaient été ramenés, ils se mirent en selle, et, après avoir une dernière fois salué le chef, ils partirent.

Aussitôt qu’ils furent hors du village, Louis se tourna vers Valentin.

— Nous n’avons pas un instant à perdre si nous voulons arriver à Valdivia avant cet homme, dit-il.

— Il nous faut aller à franc étrier ; qui sait si don Tadeo n’attend pas notre retour avec impatience ?

Ils eurent bientôt rejoint leurs amis, qui guettaient leur arrivée, et tous quatre s’élancèrent à fond de train dans la direction de Valdivia, sans pouvoir se rendre compte de la raison qui les poussait à faire une si grande diligence.

Antinahuel avait accompagné ses hôtes jusqu’à quelques pas en dehors de son toldo ; lorsqu’ils eurent pris congé de lui, il les suivit des yeux aussi longtemps qu’il put les apercevoir ; puis, quand ils eurent enfin disparu, à la sortie du village, il revint à pas lents et tout pensif à son toldo, en se disant à lui-même :