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Nous l’avons dit dans un précédent ouvrage les Américains du Sud n’ont aucune des vertus de leurs ancêtres, en revanche ils en possèdent tous les vices. Dénuée de cette éducation première, sans laquelle il est impossible de faire ou seulement de concevoir de grandes choses, la nation chilienne, libre par un coup inespéré du hasard, se trouva immédiatement le jouet de quelques intrigants qui cachèrent sous de grands mots de patriotisme une ambition effrénée ; vainement elle lutta, la nonchalance innée de ses habitants, la légèreté de leur caractère, fut un obstacle invincible à toute amélioration réelle.

À l’époque où nous sommes arrivés, le Chili se débattait sous la pression du général Bustamente. Cet homme, non content d’être ministre d’une république, ne rêvait rien moins que de s’en faire proclamer le chef, sous le titre de protecteur.

La réalisation de cette idée n’était pas impossible. Par sa position géographique, le Chili est presque indépendant de ces voisins incommodes qui dans les États de l’Ancien-Monde surveillent tous les actes d’une nation, prêts à mettre leur veto dès que leur intérêt semble menacé.

D’un côté, séparé du Haut Pérou par le vaste désert d’Atacama, presque infranchissable, la Bolivie pouvait seule hasarder quelques observations timides, mais le général Bustamente se réservait in petto d’englober cette République dans sa nouvelle confédération ; d’un autre côté, d’immenses solitudes et la Cordillère le séparaient de Buenos-Ayres, qui n’avait ni la volonté, ni la puissance de s’opposer à ses projets. Un seul peuple pouvait lui faire une rude guerre, c’était le peuple araucan : cette petite nation indomptable, entrée comme un coin de fer dans le Chili, inquiétait vivement le général, il résolut de traiter avec le toqui araucan, déterminé, lorsque ses projets auraient réussi, à réunir toutes ses forces pour conquérir ce pays qui avait résisté à la puissance espagnole.

En un mot, le général Bustamente rêvait de créer à l’extrémité sud de l’Amérique, avec le Chili, l’Araucanie et la Bolivie confédérés, une nationalité rivale des États-Unis.

Malheureusement pour le général, il n’y avait pas en lui l’étoffe d’un grand homme.

Le général Bustamente était tout simplement un soldat parvenu, ignorant, cruel, et qui ne doutait de rien.

Lorsque l’Amérique leva contre la métropole l’étendard de la révolte, de nombreuses sociétés secrètes furent fondées sur tous les points du territoire.

La plus redoutable sans contredit fut celle des Cœurs Sombres.

Les hommes qui se placèrent à la tête de cette société étaient tous des gens intelligents, instruits, dont, pour la plupart, les études s’étaient faites en Europe et qui, en ayant vu de près les grands principes de la Révolution française, voulaient les appliquer dans leur pays et régénérer leur nation.

Après la proclamation de l’indépendance chilienne, les sociétés secrètes n’ayant plus de but disparurent.

Une seule persista à rester debout : la société des Cœurs Sombres ; c’est