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Le silence se rétablit.

— Je vous ai prouvé, n’est-ce pas, d’une façon irrécusable, que le chef n’est pas coupable ?

— Oui ! oui ! s’écrièrent-ils en tumulte, le visage pâle est un grand médecin, il est aimé de Pillian.

— Très bien ! maintenant, ajouta-t-il avec un sourire narquois à l’adresse du sorcier, il faut que votre machi prouve à son tour que je l’ai calomnié et que ce n’est pas lui qui a tué l’Apo Ulmen de votre tribu. Le chef mort était un guerrier renommé, il doit être vengé !

— Oui ! dirent les guerriers, il doit être vengé !

— Mon frère parle bien, observa Curumilla, que le machi fasse l’épreuve.

Le malheureux sorcier se vit perdu ; il devint livide, une sueur froide inonda ses tempes, un tremblement convulsif agita ses membres.

— Cet homme est un imposteur, grommela-t-il d’une voix éteinte, il vous abuse.

— Peut-être ! en attendant, imitez-moi ! dit Valentin.

— Tenez ! fit Curumilla en remettant le sabre au machi, si vous êtes innocent, Pillian vous protégera de même qu’il a protégé mon frère.

— Caramba, cela est certain, Pillian protège toujours les innocents, et vous allez en être la preuve, dit le Parisien, chez lequel l’esprit du gamin reprenait le dessus.

Le machi jeta autour de lui un regard désespéré.

Tous les yeux exprimaient l’impatience et la curiosité.

Le malheureux comprit qu’il n’avait de secours à attendre de personne.

Sa résolution fut prise en une seconde.

Il voulut mourir comme il avait vécu, en trompant la foule jusqu’à son dernier soupir.

— Je ne crains rien, dit-il d’une voix ferme, ce fer sera pour moi inoffensif. Vous voulez que j’accomplisse l’épreuve, j’obéirai ; mais prenez garde, Pillian est courroucé de votre conduite envers moi, l’humiliation que vous m’imposez sera vengée par de terribles fléaux qui vous accableront.

À ces paroles de leur voyant, les Puelches tressaillirent, ils hésitèrent ; depuis longues années ils avaient l’habitude d’ajouter foi entière à ses prophéties, ce n’était qu’avec crainte qu’ils osaient l’accuser d’imposture.

Valentin devinait ce qui se passait dans le cœur des Indiens.

— Bien joué, murmura-t-il en répondant par un clignement d’yeux au sourire de triomphe du machi, à mon tour maintenant : Que mes frères se rassurent, dit-il d’une voix haute et ferme, aucun malheur ne les menace, cet homme parle ainsi parce qu’il a peur de mourir, il sait qu’il est coupable, et que Pillian ne le protégera pas.

Le machi lui lança un regard empreint de haine, saisit le sabre, et d’un geste prompt comme la pensée, il fit disparaître la lame dans sa gorge.

Un flot de sang noir s’échappa de sa bouche, il ouvrit les yeux d’une façon démesurée, agita les bras convulsivement, fit deux pas en avant et tomba sur la face.

On s’empressa autour de lui, il était mort.