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vous interposer en ma faveur, mes frères me croient coupable, tout innocent que je suis, je dois mourir.

— Votre dévouement est superbe, mais il est absurde, lui répondit Valentin,.

— Cet homme est coupable, appuya le machi.

— Finissons-en, reprit Tangoil Lanec, tuez-moi.

— Que disent mes frères ? demanda Curumilla, en s’adressant à la foule qui se pressait anxieuse autour de lui.

— Que le grand médecin Muruche prouve la vérité de ses paroles, répondirent les guerriers tous d’une voix.

Ils aimaient Tangoil Lanec et désiraient intérieurement qu’il ne mourût pas.

D’un autre côté, ils avaient pour le machi une haine que la terreur profonde qu’il leur inspirait suffisait à peine à leur faire dissimuler.

— Très bien, reprit Valentin en descendant de cheval, voici ce que je propose.

Chacun se tut.

Le Parisien dégaina son sabre et le fit étinceler aux yeux de la foule.

— Vous voyez ce machete, dit-il d’un air inspiré, je vais me l’enfoncer dans la bouche jusqu’à la poignée, si Tangoil Lanec est coupable, je mourrai ; s’il est innocent, comme je l’affirme, Pillian m’aidera et je retirerai le sabre de mon corps sans avoir souffert aucune blessure.

— Mon frère a parlé comme un guerrier courageux, dit Curumilla, nous sommes prêts.

— Je ne le souffrirai pas, s’écria Tangoil Lanec, mon frère veut-il donc se tuer ?

— Pillian est juge, répondit Valentin avec un sourire d’une expression indéfinissable et un air de conviction parfaitement joué.

Les deux Français échangèrent un regard.

Les Indiens sont de grands enfants pour lesquels tout spectacle est une fête ; la proposition extraordinaire du Parisien leur sembla sans réplique.

— L’épreuve ! l’épreuve ! crièrent-ils.

— Bien, dit Valentin, que mes frères regardent.

Il se mit alors dans la position classique adoptée par les saltimbanques, lorsque sur les places ils se livrent à cet exercice, puis il introduisit dans sa bouche la lame du sabre, et, en quelques secondes, l’y fit disparaître tout entière.

Pendant l’exécution de ce tour de force, qui pour eux était un miracle, les Puelches regardaient le hardi Français avec terreur, sans oser même respirer ; ils ne comprenaient pas qu’un homme accomplît une pareille opération sans se tuer immédiatement.

Valentin se tourna de tous les côtés, afin que chacun fût bien certain de la réalité du fait, puis, sans se presser, il retira la lame de sa bouche, aussi brillante que lorsqu’il l’avait sortie du fourreau.

Un cri d’enthousiasme s’échappa de toutes les poitrines.

Le miracle était évident.

— Un instant, dit-il, j’ai encore quelque chose à vous demander.