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— Non, le machi ne peut mentir, il est inspiré de Pillian ; toi, ta femme et tes enfants, vous mourrez, la loi le veut ainsi.

Sans daigner répondre, le chef jeta ses armes et alla se placer près du poteau du sang, planté devant le toldo de médecine qui renferme l’idole sacrée.

Un cercle se forma, dont le poteau devint le centre ; la femme et les enfants du chef furent amenés ; on commença immédiatement les apprêts du supplice, les funérailles du chef ne pouvant avoir lieu avant l’exécution de son meurtrier.

Le machi triomphait.

Un seul homme avait, à plusieurs reprises, osé s’élever contre ses dilapidations et ses fourberies, cet homme allait mourir et le laisser maître absolu dans la tribu.

Sur un signe de Curumilla, deux Indiens s’emparèrent du chef, et malgré les pleurs et les sanglots de ses femmes et de ses enfants, ils se mirent en mesure de l’attacher au poteau.

Les deux Français avaient assisté au spectacle de ce drame infâme. Louis était révolté de la fourberie du machi et de la crédulité des Indiens.

— Oh ! dit-il à son ami, nous ne pouvons laisser accomplir ce meurtre.

— Hum ! murmura Valentin en caressant les crocs de ses moustaches blondes et en regardant autour de lui, ils sont nombreux.

— Qu’importe ? reprit Louis avec feu, je ne veux pas être témoin d’une pareille iniquité, dussé-je périr, j’essaierai de sauver ce malheureux qui nous a offert si franchement son amitié.

— Le fait est, dit Valentin d’un ton pensif, que Tangoil Lanec, comme ils le nomment, est un honnête homme pour lequel j’éprouve une vive sympathie ; mais que pouvons-nous ?

— Pardieu ! s’écria Louis en saisissant ses pistolets, nous jeter entre lui et ses ennemis, nous en tuerons toujours bien chacun cinq ou six.

— Oui, et les autres nous tueront, sans que nous réussissions à sauver celui pour lequel nous nous serons dévoués ; mauvais moyen, trouvons autre chose.

— Hâtons-nous, le supplice va commencer. Valentin se frappa le front.

— Ah ! dit-il tout à coup avec un sourire goguenard, la ruse seule peut nous servir, laisse-moi faire, mon ancien métier de saltimbanque va, je crois, nous venir en aide, mais au nom du ciel jure-moi bien de rester calme.

— Je te jure, si tu le sauves.

— Sois tranquille, à fourbe, fourbe et demi, je vais prouver à ces sauvages que je suis plus fin qu’eux.

Valentin poussa son cheval au milieu du cercle.

— Un moment, dit-il d’une voix forte.

À l’apparition imprévue de cet homme, que personne n’avait encore remarqué, chacun se retourna et le regarda avec surprise.

Louis, la main sur ses aunes, suivait avec anxiété les mouvements de son ami, prêt à voler à son secours.

— Ne plaisantons pas, continua Valentin, nous n’avons pas le temps de